Gerry Roufs
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- Catégorie : Divers
- Publié le samedi 15 janvier 2022 16:14
- Écrit par Chorus
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Merci à Yvan Martinage, sur Facebook, de nous avoir remémoré la date anniversaire de la disparition de notre ami Gerry Roof, le 6 Janvier 1997. J’ai repris dans cet article celui de Luc le Vaillant et la vidéo de Robert Frosi, à sa mémoire.En tant qu’ami de Gerry, je me suis permis de glisser quelques réflexions toutes personnelles dans les textes retranscris…
Libération par Luc Le Vaillant, publié le 14 janvier 1993 Vendée Globe. Troisième tour du monde en solitaire et sans escale. Gerry Roufs, du barreau à la mer. L'avocat est devenu marin. Depuis une semaine, sa voix s'est tue. Qu'espérer? Que Gerry Roufs se pointe, petite silhouette maigrichonne, sombre et bouclée, et qu'il balance avec ce reste d'accent Québéquois qu'il n'a jamais renié: «Dis donc, mon salaud, tu m'as enterré un peu vite...» Qu'espérer? Que le skipper Canadien émerge au cap Horn comme surgi de nulle part et qu'il rompe enfin le silence, infirmant les dernières et vaines données du satellite Canadien ou les recherches à l'aveugle du cargo indien Aditya Gaurav, désormais le seul navire sur zone. Qu'espérer? Que Roufs n'ait pas envie de rejoindre Alain Colas dans cette «île-sous-le-vent» où se réunissent ceux que les terriens appellent des «perdus en mer». Qu'espérer? Que Gerry revienne, kidnappe stylo et papier et grommelle: «Il serait temps que tu saches écrire mon nom. Roufs, c'est R-O-U-F-S.» Gerry a eu 43 ans le 2 novembre, la veille du départ. Né à Montréal, il est le fils unique d'un ingénieur aéronautique et d'une infirmière Eurasienne. Enfance paisible.Il tâte du tennis, essaie la voile. Il dit: «J'étais toujours mouillé, j'aimais pas ça». Il navigue sous la neige, se laisse emporter par le blizzard à travers des rivières et des lacs où le dessalage est interdit sous peine de congélation instantanée. Mais ses qualités de régatier francophone impressionnent cet univers de yacht-clubs à l'anglo-saxonne. Déjà débrouillard, il séduit un mécène qui le prend sous son aile. Il s'affirme comme l'un des porte-drapeaux de la voile olympique Canadienne. Pinailleur, pas le dernier à houspiller un équipier lambin, sacrifiant au rituel de la cigarette d'avant départ qu'il sortait d'un Tupperware, Gerry Roufs s'impose comme l'un des leaders mondiaux du 470, un dériveur qui a vu grandir l'élite de la voile mondiale. Les plaidoiries et les cafés. Son père meurt avant sa majorité. Il fait son droit. S'installe comme avocat. On est dans les années 70. Il a les cheveux aux épaules et la partie adverse lui glisse mielleusement des : «Maître, vos plaidoiries sont un peu échevelées.» Il soutient les causes des minorités ethniques: «Je défendais les Indiens au pénal et je devais les attaquer au civil pour me faire payer». La nuit, il a un deuxième métier. Il possède un bar. Le Café Campus est un haut lieu de la contre-culture à Montréal. Bière, rock et «pétards». Jerry, 1,65 m et 55 kilos, fait office de videur: «On travaillait armé. Y avait toujours un flingue sur zone.» Le grand large, il regarde ça de loin. Mike Birch sera son guide vers la haute mer. Entre le grand ancien blond et flegmatique et la petite teigne brune et asticoteuse, le courant passe. «Mike, c'est mon meilleur ami dans la voile. Je peux tout lui dire (...) Il m'a jamais expliqué comment faire, mais tu prends vite le pli.» Roufs subit son baptême du sel dès son premier convoyage. Force 11 à la sortie du Saint-Laurent. Le genre de dérouillée qu'il a dû se prendre dans ce coin perdu du Pacifique où l'on perd sa trace. «J'étais pas malade, pas flippé. J'ai demandé au type qui était de quart avec moi: "C'est toujours comme çà? Il m'a répondu: "J'ai jamais rien vu de pareil...» Il est accro. Vit les belles années 80 des transats jouissives, des multicoques grandioses, des sponsors généreux. Il fait valoir ses talents de barreur au sein d'équipages qui deviennent des agrégats de compétences et plus seulement des chouettes bandes de bons copains. Il enchaîne les traversées en équipage, cumule les records de vitesse, truste les honneurs collectifs. S'en souvient comme d'un temps d'excès et de plaisirs: «On inventait sans cesse et puis on se marrait bien.» Il ne pense pas vraiment à gagner le devant de la scène. «J'étais l'équipier éternel.» Pour vivre à une encablure des bateaux les plus rapides du monde il s'installe à La Trinité-sur-Mer. Il se sent bien en France. Il en aime les cocoricos mais pas le jacobinisme, la qualité de vie mais pas les évolutions à l'américaine, le sens de l'intérêt général mais pas l'immobilisme. Devant le reflux des opportunités dans la voile, il s'interroge. Les multicoques périclitent. L'intérêt se déplace vers les monocoques, vers le Vendée Globe. Seconde place. Nous sommes en 1993 (1992?), j’ai acheté un JOD35 en copropriété, qui est basé à la Trinité sur Mer. C’est effectivement un peu le déclin des multis à la Trinité, la course croisière s’interroge aussi sur l’avenir et l’intérêt de la jauge IOR/CHS et je veux essayer la monotypie, pour changer. Fidèle à l’équipe de Technique voile, nous nous adressons à North qui les remplace dans la zone artisanale. Nous tombons sur Gerry qui venait de s’y faire salarier en tant que commercial « gardes robe » auprès des coureurs du coin. C’était le premier jeu de voile que North dessinait pour le JOD, et Gerry a vite su convaincre sa direction que si ses voiles marchaient bien sur notre Quintet, le marché national du JOD35 s’ouvrirait à eux… J’ai trouvé un vendeur attentif qui nous a proposé un devis correct mais surtout et aussi la garantie d’essais en mer à bord et des retouches si nécessaire… Nous réaliserons une première sortie d'essai voile entre deux weekend d'entrainement d'hiver, à la Trinité. Il sera très discret à bord, juste prenant des notes sans les commenter. Ce n'est que de retour à la Marina qu'il nous dira : je reprends la GV et le génois lourd, je vous les rapporte samedi prochain... Ci fait! il se pointait le samedi midi au départ de l'entrainement et embarquait à nouveau sur Quintet. Il fera toute la saison avec nous, pour notre plus grand plaisir. D'abord au réglage de la GV (mise au point des voiles oblige...) il tiendra ensuite le poste de tacticien. C'est vrai qu'à l'arrière son gabarit ne gênait ni la marche du bateau ni le reste de l'équipage. Sa grande tirade pour ce qui était de la tactique était : "Cap ou vitesse, vitesse ou cap?" Une manière bien Québécoise de faire réfléchir le barreur à sa route jusqu'à la prochaine marque! Gerry était d'une grande modestie, je voyais bien que si on lui avait proposé la barre il aurait sauté dessus et fait mieux que les autres à ce poste. Jamais il ne la demandera. De notre côté nous étions déjà 4 des 5 copropriétaires à vouloir tenir ce poste et à nous le répartir à chaque sortie, il l'avait sans doute bien compris:) Il était très rapide et très réactif, mais cela contrastait avec son mental posé, celui du marin qui sait. Tous les samedi midi des weekends d'entrainement l'équipage se retrouvait à la Pizzeria du bout des quais pour manger, "vite fait", des pâtes carbonara avant d'aller régater. Gerry nous y retrouvait, déposé souvent par Michèle et sa petite Emma. Je garde de cette période à la Trinité de très bons souvenirs. On se battait sur l'eau mais, "chez Jégo", on était tous de bons copains et on échangeait nos expériences. On pouvait demander un tuyau à Jimmy (Pahun), à Laurent (Tilleau), à Jean Michel (Carpentier) ou à Norbert (Duizend), à Bernard ou Alain (Pointet)... On a même couru une manche avec Bruno Troublé à la tactique! Les saisons suivantes, Gerry a des projets en 60 pieds Open, on perd un peu son contact et nous le suivrons via la presse spécialisée.
C'est l'hiver 1993. Le téléphone sonne. On lui propose de rapatrier le bateau de Bertrand De Broc qui patiente à Auckland après son abandon dans le Vendée Globe 1992-1993. Il accepte. Et met le doigt dans l'engrenage. Il danse un drôle de pas de deux avec le groupe LG, une entreprise de nettoyage Brestoise. Embrassades sur la bouche et bras de fer alternent. Quand son sponsor menace de confier à un autre skipper (on parle de Florence Arthaud) le voilier Groupe LG 2 qu'il a conçu et accouché, Roufs se souvient de ses cours de droit. Il se bat pour aller au bout. Et y parvient.Mieux, parti prudemment, il s'amarine petit à petit. Puis s'arrime à cette belle seconde place. A bord, lui qui était à Woodstock, réécoute les Doors et Clapton en songeant à Dustin Hoffman, l'un de ses acteurs fétiches, auquel il ressemble un peu. Dans ses fax océan, il fraude avec humour pour tenir à distance cette immensité qui lui saute au visage, ces forces incontrôlées qui zèbrent sa confiance. Et puis, voici une semaine, au cœur d'une tempête, dans un coin à icebergs, loin de toute route maritime, Gerry Roufs a fait silence radio.Espérer…..Le journaliste sportif Robert Frosi a réalisé un documentaire sur le navigateur Gerry Roufs, disparu en mer durant le Vendée Globe 1996-1997. Intitulé Gerry Roufs, toujours vivant, le film, une production de Radio-Canada Sports, de la bannière Podium, donne la parole à la conjointe de Roufs, Michèle Cartier, et à leur fille Emma, qui s’expriment sur le long processus de deuil qu’elles ont vécu au fil des ans.« Je n’aurais pas fait le film sans elles, dit Robert Frosi en entrevue téléphonique. L’objectif n’était pas de faire une rétrospective de la disparition de Gerry, mais beaucoup plus d’explorer le fait de vivre avec quelqu’un qui a une aussi grande passion, qui est un papa marin, etc. Michèle et Emma ont mis 23 ans à faire le deuil de ce drame épouvantable. Et j’ai voulu voir avec elles comment elles voient les choses aujourd’hui. Elles m’ont fait confiance et ont été super généreuses. »lien du film : https://www.youtube.com/watch?v=sbtfnbzxwGg Le film sortira sur les ondes de Radio-Canada en toute fin d’année. M. Frosi, journaliste sportif à Radio-Canada depuis 25 ans, est le concepteur du projet et mène les entrevues. La réalisation est signée Jérôme Voyer-Poirier, que M. Frosi qualifie d’« orfèvre » et avec qui il a travaillé sur plusieurs autres projets dans le passé. Dans sa carrière, M. Frosi a couvert plusieurs compétitions de voile, dont le Vendée Globe. En 1996-1997, cette mythique course en solitaire autour du monde en était à sa troisième édition. Le départ a eu lieu aux Sables-d’Olonne le 3 novembre 1996, au lendemain du 43e anniversaire de naissance du navigateur.Le 6 janvier, alors qu’il est en 2e position à mi-chemin entre le Chili et la Nouvelle-Zélande, derrière Christophe Auguin (vainqueur de cette édition), Roufs lance un message à sa base : « Les vagues ne sont plus des vagues. Elles sont hautes comme les Alpes. » Le lendemain, la balise de son navire, le Groupe LG 2, tombe dans le silence. En 2004, Michèle Cartier a publié un ouvrage, Une Atalaya pour Gerry Roufs, racontant son histoire. Et il y a deux ans, leur fille Emma a fait un documentaire simplement intitulé Atalaya, mettant ses pas dans ceux du paternel. Les deux titres réfèrent à l’île boréale chilienne où ont été retrouvés quelques morceaux de l’épave du voilier Groupe LG 2. Le corps du navigateur n’a quant à lui jamais été retrouvé.Assez intimiste, le documentaire d’environ 23 minutes montre entre autres que Michèle Cartier a fait coller un petit morceau d’épave en forme de voilier sur la pierre tombale commémorative de Roufs.Si le documentaire parle d’amour et de deuil, mère et fille ne tombent pas non plus dans la complaisance. Posées, elles rappellent la peine et la souffrance entourant le choix de Roufs de faire la course et sa disparition."Il a choisi son métier avant sa famille." (Emma Roufs, fille de Gerry Roufs, maintenant âgée de 32 ans).Pourquoi ce titre ? Robert Frosi rigole. « Au Québec, c’est évidemment un petit clin d’œil à Gerry Boulet, dit-il. Mais ça résume complètement l’histoire. Que ce soit pour Michèle ou pour Emma, Gerry est là. Il est toujours vivant. Et il est toujours dans l’esprit des gens de la voile. »Le documentaire se termine sur la chanson « L’aube tarde », que Jim Corcoran a écrite en hommage à Roufs en 2000. |
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