Morning Cloud III Le naufrage
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- Publié le jeudi 3 novembre 2011 09:13
- Écrit par Chorus
Morning Cloud III
Le Naufrage
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Table des matières 1) Récit du naufrage : Don Blewett, skipper de Morning Cloud III 2) Commentaires du RORC 3) Commentaires d'Adlard Coles 4) Témoignages 5) Photos et autres documents d'époque 6) Conclusions 7) Le mémorial MCIII |
Don Blewett, skipper de Morning Cloud III a écrit un article très détaillé qui a été publié dans Sea Horse Magasine, en son temps, il l'avait intitulé "Horror Story", en voici la traduction libre... |
Nous aurons ensuite des publications de presse et des articles de spécialistes. |
I) L'équipage s'était rassemblé le dimanche 1er Septembre avec moi comme skipper, Nigel Cumming, Gerry Smith, Bob Taylor, Barry Kenilworth et Gardner Sorum. Christopher Chadd nous a rejoint peu après. A 11h55, la météo de la zone Humber/Thames annonçait du Sud force 5 à 7. Sur Dover/Wight c'était du 6 à 7, avec rafales locales à 8. Bien que nous ne soyons pas très attirés par le mauvais temps, nous n'avons jamais imaginé rester au port. On larguait les amarres à 12h05, en fin de jusant. On envoyait la grand voile entière et le génois N°3. NDLR : vous verrez tout au long de cet article que l'auteur n'utilise que le terme "Génois" et non "foc" quand il s'agit de petite voile d'avant. En fait Morning avait des voiles d'avant à fort recouvrement, 160% pour le génois maxi, et c'est sans doute pour cela que même une voile d'avant de faible surface et de gros temps est appelée "Génois". Comme le vent et la mer forcissaient, on a descendu la grand voile et dans le chenal de Barrow on a changé le génois pour le numéro 5. Cela devenait beaucoup plus confortable mais notre vitesse chutait et on ne progressait que difficilement contre un fort courant et une mer très hachée et très courte, pour quitter le chenal. On était embêté d'arriver de nuit sur les bancs de sable, aussi de SW nous avons fait un cap NE. Une fois les bancs évités on a fait du SE, mais comme le jour tombait et que nous n'avions pas d'impératifs de temps, on affalait le génois et renvoyions la GV avec 15 tours de rouleau environ. Malgré des rafales force 8, le bateau restait confortable et chacun pouvait faire un petit somme. C'est ce même gréement qu'on utilisera dans le désastre qui allait survenir plus tard...
La météo de 0H30 annonçait des rafales de plus de force 8. On pouvait mettre le cap sur Douvres mais aux alentours de 5 heures du matin, le vent modéré force 5 à 6 avec quelques rafales à 7 permettait de renvoyer le génois 5 et de dérouler la grand-voile aux 3/4 de sa surface. La météo de 6h00 donnait du vent de Sud 6 à 8, virant SW avec des fortes rafales possibles force 9 à suivre. De la pluie intermittente mais modérée. Je pensais encore brièvement pouvoir nous mettre à l'abri à Douvres. Mais nous marchions à 8,5 nœuds sur la route, avec un bon courant de marée et passait déjà par le travers de Dungeness à environ 9H45, on mettait alors le cap sur Royal Sovereign. On était un mille environ trop à la terre à son niveau, sans doute à cause d'erreurs de barre dues au mauvais temps. On virait près du phare à a peu près un mille au large puis on abattait sur la bouée lumineuse d'Owers. A 13H55, les prévisions donnaient du force 6 avec rafales à 8, montant localement à 9 et virant SW. Passage de fortes pluies devant modérées à faibles. Bien qu'elles soient inquiétantes, on ne pouvait pas faire grand chose. Le vent forcissait et au niveau de Beachy Head on réduisait la grand voile en prenant des tours pour la réduire de moitié à peu près. On restait sous génois 5. Le vent soufflait force 7-8 de SSW à ce moment là. On était pas au près serré, il y avait 45° au vent apparent. Si on prenait le 270 compas on devait passer près de la bouée d'Owers. Comme la nuit tombait, on affalait le génois numéro 5 et on reprenait encore 15 tours de rouleau sur la grand-voile.
On avait du SSW, force 7 à 9. On ne trouvait pas le foc tempête mais on ne s'en inquiétait pas plus que cela. (Le foc sera retrouvé plus tard dans un équipet du carré) Je ne voulais pas que l'équipage ait à aller à l'avant de nuit, c'est pour cela que j'avais fait affaler le génois et que l'on marchait sous grand-voile. Le bateau marchait bien sous grand-voile seule. La mer devenait violente et les sommets de vague partaient en écume. Il devenait difficile de voir ou d'entendre quoi que ce soit. Notre vitesse était de 4 à 5 nœuds. Le courant de marée commençait à nous ralentir. A 21H00 il faisait sombre et on pouvait voir Owers, qui était bien sur bâbord de notre étrave. Bientôt le vent se mit à souffler à 40-50 nœuds (Force 9-10). La mer était très dure mais les mouvements du bateau étaient très réguliers et ne nous tracassaient pas. J'avais rangé les panneaux de descente derrière l'un des radeaux de survie, dans un compartiment du cockpit. On ne les avait pas mis en place parce qu'il y avait peu d'eau venant du pont et que dans la cabine l'air aurait été renfermé. Gardner a pris la barre et enfilé la veste de quart du bateau avec un harnais incorporé. Il l'avait clippé sur le pataras. Il était debout à la barre. Nigel portait une veste de survie du bateau et son harnais était frappé sur le rail de fargue bâbord. Gerry portait son propre ciré sans harnais ni ligne de vie attachée, mais il était allongé et coincé dans le petit espace en haut de la descente. Il a écouté un moment Nigel et Gardner discuter de l'éclairage du compas puis il s'est assoupi. A environ 23H00, à 7 à 10 milles d'Owers, dont le feu à 5° bâbord de notre étrave, nous avons été heurté par une première grosse vague. Le vent était monté à 50 nœuds dans les rafales (Shoreham a annoncé 60 nœuds), et venait dans l'axe, mais nous nous faisions confortablement un cap un peu sous le vent. Le bateau est monté très vite et a simultanément gité violemment sur tribord, au point de presque chavirer. Nous étions couchés à presque 90°. Tous le matériel dans le carré et la soute à voile avait valdingué. Sous l'impact, la plupart des barreaux du pont tribord, de la cloison de la cuisine à celle du carré vers le mat étaient décollés ou cassés et séparées du pont. Ces barreaux avaient une section de 8 à 6cm par 4cm en approchant du mât. Ils étaient espacés de 35 cm. La vague avait cassé le bateau et l'eau rentrait par la dorade bâbord et la descente. La bateau se redressait rapidement tout seul et ni les dommages à la coque ni l'eau embarquée n'étaient catastrophiques. Morning avait bien survécu à sa première mise au tapis. Gerry qui s'était réveillé tout trempé et avait eu de la chance de ne pas être tombé à l'eau entendit alors sous lui "un homme à la mer, tout le monde sur le pont". Il a vu à ce moment là Gardner trainé par sa ligne de vie derrière le bateau. Deux hommes montaient sur le pont. Je m'arrêtait dans la descente pour démarrer le moteur au point mort. Quatre hommes remontaient Gardner à bord. Cela avait pris 5 minutes environ. En comptant l'équipage on s'apercevait que Nigel n'était plus à bord. Il n'y avait personne à la barre à ce moment là, mais on retrouvait un bateau en route et on virait de 180°. Cap à l'Est au compas. On retrouvait le mousqueton du harnais de Nigel dans le rail de fargue, avec environ 5 cm de bout dessus. L'extrémité était effilochée et c'était clair qu'il avait cassé. Je descendais dans la cabine et me saisissait d'un émetteur de secours et de son antenne stockés dans deux compartiments à l'arrière, puis j'essayais d'envoyer un appel de détresse.
Le moteur s'était arrêté, avait redémarré puis tourné quelques secondes avant de re-caler. J'ai mis le poste émetteur (BLU?) et le récepteur sur la fréquence 2182. Le récepteur fonctionnait mais l'interrupteur pour l'émetteur au tableau de bord ne l'allumait pas. Après 5 à 10 minutes, je renonçais et décidait d'envoyer des fusées. Un sac se trouvait dans un équipet après le poste à cirés. Je sortais les fusées "parachute" et lisait attentivement les instructions. La première et la deuxième fusée n'ont pas marché, la 3ème s'est enflammée mais avec le vent fort elle ne prenait pas d'altitude et partait à l'horizontale à environ 3 mètres au dessus de l'eau. Je n'essayais pas d'en envoyer d'autres...Chris m'informait que l'on faisait de l'eau par bâbord, au niveau du placard, derrière la soute à voile. Je n'étais pas en mesure de vérifier cela mais on faisait certainement de l'eau. Je contrôlait tout de suite les boulons de quille qui n'avaient pas bougé et je ne pouvais rien en conclure. On a navigué cap à l'est en revenant sur nos pas pendant environ 5 à 10 minutes, scrutant la zone où notre chavirage avait eu lieu. Mais on ne trouvait rien. Les vagues, aussi bien avant la vague qui avait provoqué le chavirage qu'après (Avec une route à l'Ouest) et ensuite quand on a fait demi-tour, n'avaient rien d'inhabituel du tout. On remettait ensuite le cap à l'Ouest en pensant tous que l'on ne retrouverait plus Nigel. Bob était sur le pont assuré par une écoute de génois et barrait. Chris n'était pas assuré, il était juste monté sur le pont par la descente principale qui était ouverte. Gardner était sur le point de descendre dans le carré et avait détaché sa ligne de vie. A environ 23h30 nous étions frappés par une deuxième vague à a peu près la même position qu'avec la première. Elle est arrivée exactement de la même façon mais semblait encore plus puissante. J'étais projeté à travers le carré et me blessais. Les barreaux du pont avaient encore plus souffert. Des morceaux de barreaux étaient éclatés et plusieurs barreaux étaient complètement détachés du pont. L'un des barreaux était cassé en deux endroits et les morceaux pendaient. Le capot avant s'était arraché. Comment cela s'est produit, je n'en sais rien. Il y plusieurs explications possibles. Soit la masse d'eau dans la coque propulsée vers l'étrave a créé une pression interne, mais personne dans la cabine n'a ressenti plus de pression ou a eu des réactions avec ses tympans. Nous n'avons pas vu non plus d'objet lourd ou de sac à voile heurter le capot. Le bruit de l'eau s'abattant sur le pont était terrible et je pense que toute cette eau a soulevé le capot en arrachant les deux charnières. Là où un écrou sécurisait la fermeture, l'hiloire du capot a été arrachée. L'eau s'est engouffrée par le capot avant et par la descente. Bob a été éjecté du bateau et il s'est re-hissé avec l'écoute de génois utilisée comme ligne de vie. Il remontait à la surface et retrouvait le bateau couché avec le mât dans l'eau, cela lui permettant de remonter à bord sans trop de difficultés. Gardner avait été projeté dans un plis de la grand-voile, entre elle et la bôme. Quand le bateau se redressait violemment, il tombait dans le cockpit. Les reposes pieds du poste de barre s'étaient déplacés et pinçaient les bouts attachés aux bouée fer à cheval. On ne pouvait pas lancer ces bouées. Le bateau ne bougeait pas et restait dans le lit du vent, très enfoncé dans l'eau. On a pu voir les nouveaux dégâts. Le capot du caisson de cockpit contenant l'un des radeaux de survie était arraché, le radeau avait disparu.L'hiloire sur le devant de la descente était arrachée et ne tenait que par son extrémité. Le compas installé devant la descente avait disparu. Les barres de flèches étaient toutes deux tordues, l'une vers l'avant l'autre vers l'arrière. Dans le bateau l'eau entrait par le capot avant à chaque fois qu'une vague arrivait, et je pensais qu'il y avait des dégâts sous la flottaison. Avec autant d'eau à l'intérieur il était impossible d'avancer avec le vent, j'étais convaincu que l'on allait pas tarder à couler. Si une grosse vague arrivait sur le bateau à nouveau, on coulerait à coup sûr, cette fois. Dans l'intérêt des équipiers encore à bord, je décidais d'abandonner le bateau au plus vite. On saisissait le radeau 4 places dans le caisson tribord. On attachait le bout du radeau, on le gonflait et le mettait à l'eau sur bâbord. Je descendais dire à Gardner qu'on quittait le bateau et tout le monde l'aidait une fois sur le pont. Avec deux personnes dans le radeau et deux sur le pont on pouvait le débarquer sur le radeau. Le plat-bord du bateau se retrouvait maintenant au même niveau que le radeau. IL était près de minuit. On dérivait sous le vent très rapidement mais nos yeux étaient rivés sur le bateau dans les embruns. On mettait l'encre flottante, ce qui stabilisait notre vitesse de dérive. La radeau continuait sa dérive à cap approximativement NE. On s'approchait à moins d'un mille de Shoreham puis on a dérivé le long de la côte puis le gisement des lumières des cheminées est resté stationnaire pendant quelques heures. Avant le lever du jour, à 5 heures du matin environ, on a allumé une fusée à main. Il y en avait trois dans le radeau, emballée ensemble dans un sachet en plastique. La fusée s'allumait et brulait correctement. Une demie heure près, au large de Shoreham toujours, les eux autres étaient tirées aussi mais à cause des embruns rentrant dans le radeau elles étaient trop mouillées pour ce faire. Après Shoreham on a dérapé le long de la côte. Les fusées parachute étaient ensuite essayées (au large de Hoves), mais elles n'étaient pas emballées du tout et ne pouvaient plus servir. Durant les deux dernières heures la bascule du vent à l'Est se poursuivait (Sans doute un dévent local ou alors le vent avait viré). Nous dérivions rapidement le long de la côte vers Brighton et passions à 50 ou 100 mètres de l'estacade. A mi-distance environ de l'estacade et des marinas de Brighton, à 500 mètres du rivage nous arrivions dans les rouleaux. Le premier retournait notre radeau et tout le mode se retrouvait projeté dans les arceaux de la capote, dans l'eau. Le radeau était retourné avec Gardner en dessous. Bob était à quelques mètres et essayait de revenir en nageant. Tout le monde se tiendra ensuite sur les lignes de vie du radeau. Peu après une autre déferlante redressait le radeau, Bob et Gerry y remontait bien qu'il soit plein d'eau. Gardner était accroché à l'extérieur avec son bras blessé. Barry et moi restions à l'extérieur pour stabiliser le radeau et utiliser au maximum les vagues. Gardner devenait de plus en plus faible, il nous a dit qu'il ne pensait pas pouvoir continuer. Bob l'a remonté dans le radeau, et en est sorti à son tour. Peu après cela Barry a touché le fond, de ses pieds, je tirais le radeau jusqu'à ce qu'il touche le sable. Des gens nous portaient secours au bord et la police nous aidait sur la plage. Nous avons touché terre à 7H33.
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Don Blewett, skipper de Morning Cloud III, va ensuite nous dresser un tableau exhaustif des dégâts humains et matériel, du matériel de sécurité qui était à bord. |
BLESSURES SUBIES Après la première vague Gerry : une vertèbre cassée, 3 vertèbres déplacées. Après la deuxième vague Gardner : bras droit cassé. Trois côtes cassées sur le côté droit. Remarques Est-ce qu'un vague énorme peut se former? Au large de hauts fonds, certainement, ou bien lorsque des fréquences particulières de houle se créent. Je serais tenter de penser que nous étions en fait plus près de la côte que nous l'avons estimé. Au cours de notre route à l'Ouest depuis Royal Sovereign, nous avons rencontré de grosses rafales, mais nous n'étions pas au près serré et notre dérive a été estimé à ce moment à 6°. Je connais bien cette côte et, dans des accalmies ou des éclaircies j'ai pu identifier Newhaven, Brighton et Worthing. Quand la première vague nous a heurté, on n'était pas loin du travers arrière de Worthing et nous faisions route juste au nord d'Owers. On aurait pu avoir à virer plus tard pour parer Owers. Le sondeur ne marchait pas (Batteries?) Si on était passé dans des eux moins profondes au Nord on aura eu plus de chance d'avoir une mer plus dure pendant quelques minutes et pas qu'une vague. Quand nous sommes retournés à l'endroit de la vague on aurait aussi avoir de très mauvaises conditions. A notre position, la fosse sous marine qui est en dessous peut avoir aggravé l'état de la mer, c'est expliqué dans le livre d'Adlard Coles "Heavy Weather Sailing". La croyance à ce que la 7ème ou la 11ème vague d'un train de vagues n'est pas dénuée de tout fondement... Si deux trains de vagues ayant des vitesses très sensiblement différentes avancent et se croisent, il en résultera un phénomène rythmique semblable à celui qui se produit en accordant un piano avec un diapason. Des vagues d'une hauteur considérable vont s'intercaler avec des vagues de faible hauteur. Quand le vent atteint rapidement une force de tempête, et donne sa pleine puissance sur une courte période, les vagues n'ont pas le temps de se former complètement, elles deviennent plus abruptes et plus désordonnées. Ce qu'on a raconté précédemment n'est qu'une explication de ce qui est arrivé. Je m'en tiens à des notes personnelles rédigées dans les jours qui ont juste suivi l'accident et après en avoir discuté avec les autres survivants. Le carnet de bord du bateau a été perdu dans le naufrage, les temps cités l'ont été "de mémoire". Ils sont, par conséquent approximatifs, mais assez juste, je pense. L'heure de l'arrivée de la première vague est exact car je l'ai noté juste après. L'heure de l'évacuation du bateau est aussi correcte à 5 ou 10 minutes près car je l'avais rapidement noté juste avant. Dans cet article, j'ai essayé de ne pas donner d'explications, mais je pense tout de même que l'on peut faire quelques observations. Nous savions très bien, en quittant Burnham que la traversée n'allait pas être de tout repos, mais il n'était pas question de reculer. On avait un bon équipage, la plupart d'entre eux avait essuyé des tempêtes de nombreuses fois. Mais avant tout, nous avions une totale confiance en notre bateau. La première alerte d'une météo qui pouvait aller au delà d'un coup de vent "normal" a été la météo de 6H30, le lundi 2 septembre qui disait "possibilité de force 9 plus tard". Ce n'était pas un bulletin encourageant mais à cette heure là nous avions de bonnes conditions et le mot "possibilité" nous a conforté dans notre choix de continuer, car "plus tard" signifiait pour nous à l'entrée du Solent. Mais avant tout j'étais persuadé que le bateau pourrait gérer un force 9 établi. Une fois passé Douvres, il n'y a pas de ports abrités du vent du large jusqu'au Solent. Laisser tomber après avoir pris la décision de continuer n'était plus envisageable. A ce stade c'est intéressant de se plonger dans le livre de bord de "Casse Tête IV" (NDLR: Casse Tête est un Swan 41 de chez Nautor) skippé par John Irvin et qui faisait le même convoyage en même temps que nous. Il a passé S.Goodwind à 6H42 (c.a.d une heure devant nous) et noté 25 nœuds de vent et une bonne visi. Il est passé à Royal Sovereign à 13h00 et a enregistré 30 nœuds de vent. Sa route a été semblable à la notre. A un mille, un mille et demie du Sud de Royal Sovereign il a infléchi sa route (Sans doute un cap au 270) en donnant instruction au barreur de faire plutôt du Sud, par défaut. Il naviguait avec son foc tempête et la grand voile avec 14 tours de rouleau, approximativement. On avait assuré les écoutes et le bateau marchait à plus 7 nœuds. Dans la baie le vent le vent est monté et a viré, on passait au près serré (32° apparents), à la fin. Owers était en vue à bâbord, on ne peut pas rater cette amer. On passant près d'Owers, à son Nord l'eau bouillonnait comme dans un chaudron alors on a viré et fait une paire de milles pour passer à un mille d'Owers. Dans la dernière heure on a remarqué 5 ou 6 très grosses vagues, avec des intervalles de temps constant entre elles, toutes les 15 minutes environ. On en a vu une en particulier qui a mis beaucoup de temps à passer. John a essayé de la mesurer, dans le creux elle atteignait les barres de flèche (environ 8 mètres). Certaines déferlaient et celle ci était particulièrement escarpée. De jour il a été possible de la prendre de face ou d'abattre au dessus pour passer. "Certaines vagues étaient brutales, très grosses et très hautes. Si on ne les avait pas vu, on aurait eu un problème." J'ai demandé à John Irvin s'il avait envisagé un moment de changer de cap ou de faire demi-tour. IL m'a répondu qu'il avait envisagé toutes les possibilités au cas où les conditions auraient empiré, et qu'il était arrivé à la conclusion qu'il ne pouvait que poursuivre la route. Si l'on revient sur la catastrophe, il y a deux aspects distincts. Le premier c'est la perte de deux hommes, l'autre c'est l'abandon du bateau. Ce sont deux questions très différentes. Tout d'abord, la perte de deux hommes. Pour Nigel Cumming, son bout de harnais a cassé. C'est révoltant qu'une chose pareille puisse arriver, mais cela s'est déjà produit et si un homme dépend de sa ligne de vie et que ce dispositif a un défaut, on en comprend les conséquences. Dans le cas de Christopher (NDLR: neveu de E.Heath), il était sur le pont sans harnais quand le bateau est tombé une deuxième fois. Il venait de sortir et il aurait suffi de quelques secondes lui auraient suffi pour réagir à la mise en garde de Garry. On pourra nous dire que si on avait pas fait demi tour pour chercher Nigel on n'aurait pas rencontré la deuxième vague qui a couté la vie à Christopher et détruit le bateau. Mais, à proprement parler, la perte du bateau et la perte d'un homme sont deux choses très différentes. On a abandonné le bateau parce que il y avait tellement de dégâts qu'il nous mettait en danger. Ces dégâts ont été causés par la première vague, mais outre le fait que la bateau faisait de l'eau, il était encore manœuvrable. C'est la deuxième vague qui l'a vraiment achevé. Les dégâts ont empiré. Il y avait un mètre d'eau à l'intérieur et il rentrait beaucoup d'eau par le capot avant, et, sous la flottaison, je le suppose. Il y avait un gros danger qu'une nouvelle grosse vague nous frappe et cela aurait certainement coulé le bateau. La décision d'abandonner le bateau n'a pas été prise à la légère. C'était essentiel de la prendre au bon moment. On ne pouvait se permettre d'attendre que le bateau coule sous nos pieds.
MATERIEL DE SECURITE A BORD Feux et fusées de détresse
On a fait une tentative de tirer les fusées parachute après le choc avec la première vague. Elles étaient parfaitement sèches, à l'abri dans un équipet. J'ai lu le mode d'emploi avec attention et ai procédé au tir de la même façon. Les deux premières ne se sont pas allumées. La troisième s'est enflammée mais à cause du vent fort, elle n'a pas pris d'altitude et est partie à l'horizontal sous le vent, à environ 3 mètres au dessus de l'eau. Les fusées du radeau de survie n'ont pas mieux marché. Il y avait trois feux à main dans un seul sachet étanche. La première a bien fonctionné mais avant qu'on ne veuille utiliser les deux autres, une vague a éclaté sur la radeau et les embruns les ont mouillé. Elles étaient inutilisables. Deux fusées parachute étaient rangées dans le sac de toile avec le reste du matériel de secours. Mais sans aucune protection contre l'eau de mer elles étaient aussi inutilisables. Les cinq fusées étaient cerclés de carton. Dans ce type de conditions, quand on a besoin des feux de secours, il est certain qu'aucune d'elles ne pourra rester sèche si on les laisse dans le même sachet. IL n'y a aucune chance, non plus, qu'elles fonctionnent si elles restent sans protection comme les fusées parachutes.
Lignes de vie
Les gilets de sauvetage de Morning Cloud étaient des Henri Lloyd. Elles comportaient des harnais textiles avec couche interne et externe en nylon sanglés autour et de la marque Britax Ltd. Le bout de ligne de vie était constitué d'un bout de 3 cm de diamètre en nylon avec une charge de rupture d'une tonne trois. Il faisait deux mètres de long avec un mousqueton acier à chacune de ses extrémités. Nigel Cimmings était assis sur le cockpit bâbord avec sa ligne de vie attachée sur le rail de fargue à mi-distance de l'endroit où il était assis. Le bateau a roulé sur tribords, c.a.d sous le vent, et est ensuite tombé depuis le haut de la vague sur le flanc. On peut penser qu'il ait été précipité sous le vent, en faisant une trajectoire vers le bas sans avoir tendu sa ligne de vie. Cela a dû imprimer un choc considérable au bout et au mousqueton. Les deux morceaux du bout ayant été retrouvés, on n'a pas pu comprendre pourquoi ils avaient cassés, compte tenu de leur mauvais état après une immersion prolongée... Malgré tout, des bout parfaitement identiques à ceux portés par l'un des survivants a été testé au National Engineering Laboratory. Les résultats sont instructifs : " Le bout a été testé dans notre dispositif de tests et a cassé avec une charge de 800 kg. Cela correspond aux charges de rupture d'autre matériaux d'autres aussières de la même taille et du même matériau testé sur ce banc." La rupture s'est produite sur l'une des deux épissures et cela est cohérent avec d'autres tests. La vitesse mesurée pour le choc a été de 12m/sec (43 km/h). "Tout le problème semble résider, selon moi, dans le ratio charge supportée par l'aussière et énergie à absorber. Nous avons obtenus des résultats de test avec des poids morts de 80 kg avec des bouts plus ou moins longs. La charge maximale encaissée par un bout de nylon est d'environ dix fois sa charge sur une chute de 2 mètres. Tout peut se modifier rapidement, avec la vitesse, une charge peut être amenée au delà de la limite de rupture d'un bout en particulier, surtout que la rupture peut être accélérée par l'ampleur de la dynamique de la charge." Il semblerait que les aussières ne soient pas testée dans les conditions "normales" et la charge de rupture est le reflet de la seule capacité de résistance à une charge graduelle. Comme les efforts que la ligne de vie va subir seront à tout coup des chocs, je pense que c'est dangereux de donner ces données de base, car elles donnent un faux sentiment de sécurité aux utilisateurs. Il est certain que dans des conditions extrêmes il faut plus que les harnais actuels et leurs bouts. Tant qu'une réponse satisfaisante n'aura pas été donnée, les équipiers sur les bateaux ne devront pas faire confiance à leur harnais. Remarque : c'est triste d'apprendre qu'une étude auprès du National Engineering Laboratory sur les harnais de sécurité en sport a été abandonnée. Le NEL(National Engineering Laboratory) peut très bien reproposer cette étude mais le manque de financement l'en empêche. La somme voulue serait faible, de l'ordre de 2.000 livres.
Radeau de survie
Cependant, certains détails nous ont posés problème et en voici la liste.
1) Le taud avec son entrée facile ne pouvait résister aux vagues même quand il était fermé, et le Velcro avec un bout élastique, pour sa fermeture, n'était pas adapté. Nous avons dû maintenir à la main le taud pour le fermer et malgré tout beaucoup d'eau rentrait dans le radeau. 2) Depuis le début la lumière du taud n'a pas marché. Quand on a embarqué, la lumière rouge extérieure du taud a marché mais s'est éteinte peu après. L'alimentation de cette lampe était faite par un fil sans attache qu'on aurait très bien pu arracher accidentellement dans les dures conditions qui régnaient, et c'est peut-être la cause de son dis-fonctionnement. 3) En absence de lumière, on a pris un certain temps à ouvrir le sac de survie et le radeau a pris beaucoup d'eau dans ce laps de temps. Le sac était par ailleurs plein de condensation. 4) La torche du sac était étanche comme attendu mais ne pouvait pas être utilisée pour faire du morse. Elle comportait deux boutons, l'un pour "on" , l'autre pour "off", on ne pouvait l'utiliser pour cela sauf a effectuer avec des mouvements plus ou moins rapide en position "on". Sa dragonne a cassé très rapidement et la torche est passé par dessus bord. 5) IL y avait tris fusées à main dans un seul sac étanche. La première a bien fonctionné mais avant qu'on puisse lancer les deux autres une grosse vague a déferlé contre le taud et les a trempé. Elles étaient devenues inutilisables. 6) Deux fusées parachutes se trouvaient aussi dans un sac de toile, mais sans protection contre l'eau. Les 5 fusées disponibles ont été fabriquées par Schermuly et leur corps est en carton. Cela ne fait aucun doute, quand elles sont sèches, elles marchent parfaitement, mais dans ce type de conditions, quand on a besoin de fusées de détresse, on peut être sur qu'elles seront humides si elles sont toutes dans le même emballage et qu'il y aura toute chance pour qu'elles ne marchent plus, dépourvues de toutes protections, comme les fusées parachute l'étaient. 7) Le radeau avait des poches externes de stabilisation. Il était aussi équipé d'une ancre flottante que nous avions mise à l'eau et qui a, nous le pensons, grandement contribué à stabiliser le radeau jusqu'à ce que son aussière ne lâche après que le radeau ne se soit retourné la première fois. Cette ancre flottante était attachée au mauvais endroit, ou coincée par l'une des poches externes ou autre. Le résultat est que l'ouverture du taud était face au vent et que'elle forçait inutilement sur la structure du taud. L'évent pour la ventilation se retrouvait sous le vent. 8) L'écope fournie était trop petite pour le volume d'eau embarqué, des bottes en caoutchouc se sont avérées plus efficaces. Il est capital de pouvoir se signaler et je ne pourrais que répéter très fort que dans des conditions difficiles, on ne peut rien garder de sec une fois que les emballages sont ouverts. Pour celà, ces fusées devraient être rangées dans des sacs étanches. Elle devraient aussi être faites de matériaux imperméables à l'eau, le carton me semble parfaitement inapproprié. D'autres accessoires dans le sac de survie étaient aussi stockés dans des boites de carton, ce qui a fait qu'ils sont immédiatement tombés et cela a créé un désordre qu'on aurait pu éviter. C'est un point de détail mais cela montre que dans la conception d'un radeau de survie et de son équipement, on devrait utiliser un peu plus de bon sens.
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COMMENTAIRES DU RORC (Royal Ocean Racing Club) |
2) C'est impossible de calculer sa position précise dans une tempête avec force 9. Selon les récits de Don Blewett et John Irvin, il est très peu probable que la bateau ait touché le fond. Non seulement ils avaient de l'eau autour d'eux mais la connaissance de la côte par Don et le repérage d'Owers et de Worthing prouvent qu'ils étaient bien là ou l'estime a été faite. Il y a cependant la ligne de sonde des 20 mètres qui fait une courbe et la mer est toujours désordonnée vers l'Ouest de la zone. La combinaison de ces fonds avec du très gros temps et un vent soufflant vers la côte peut avoir levé une mer rarement observée. La première leçon à en tirer, après plusieurs saisons de météos clémentes au Royaume Uni c'est de respecter la puissance de la mer et se tenir autant que possible dans des eaux profondes. Le débat va maintenant se tourner vers cette question : Est-ce qu'on peu concevoir des bateaux et des équipements qui amélioreraient le sort d'équipages se trouvant dans des situations similaires? Les fournisseurs d'accastillage pour les voiliers que nous avons contactés ont été aussi inquiets que nous en apprenant le désastre. Les premiers problèmes qui sautent aux yeux ce sont la taille et la résistance des capots, la taille et le système d'évacuation d'eau des cockpit, la résistance des sécurités des harnais et leur maniement et ainsi de suite. La collaboration entre Ted Heath et Don Blewett sur le sujet a été exemplaire et d'autres informations seront publiées dans de prochaines publications de Sea Horse. |
LA DISPARITION DE MORNING CLOUD (Adlard Coles, Heavy Weather Appendix 6) |
3) Ce chapitre sur l'accident tragique survenu dans la nuit du 2 Septembre 1974 au Morning Cloud troisième du nom de Mr Edward Heath avec la perte de 2 hommes d'équipage a été rajouté à la fin de mon livre car il y a beaucoup à apprendre ou ré-apprendre de cette mésaventure. Morning Cloud était juste sous les 45 pieds de longueur hors tout et comme les premiers était un dessin de Sparkman et Stephens. C'est le bateau sur lequel a navigué Edward Heath en tant que membre de l'équipe Anglaise de l'Admiral's Cup en 1973, il a été fabriqué par Lallows à Cowes qui avait aussi construit le Morning Cloud deuxième du nom. Le bateau a été moulé à froid avec plusieurs bordés d'Acajou du Honduras. Il est donné pour être très solide et est très bien équipé sur tous les plans. Avoir avoir couru avec succès à Burnham-on-Crouch, il était convoyé comme à l'habitude par un équipage composé de 7 plaisanciers, pour Cowes. Don Blewet était le skipper. Tous, à l'exception de Christopher Chadd avaient déjà fait les convoyages des trois Morning Cloud. Ces équipiers étaient expérimentés bien que deux le soit moins que les autres. Casse Tête IV (Swan 41 standard de S&S construit en polyester) faisait alors la même route de convoyage mais allait plus vite car il faisait la route la plus courte à travers les bancs de sable de l'estuaire de la Tamise. Durant le passage du fort coup de vent qui arrivait il a gardé une vitesse de 6 à 7 nœuds avec un foc de tempête et une grand voile avec 12 tours de rouleau. Cela lui a permis d'arriver à l'abri de l'île de Wight sans encombre. Morning Cloud a fait une bonne mais plus longue route car Don Blewett n'était pas pressé et avait sans doute en tête la responsabilité de skipper une telle machine de course. Il a choisi la route la plus sure à l'Est des dangers de l'Estuaire de la Tamise et a toujours réduit la toile bien avant qu'il y ait vraiment à le faire. Les conditions extrêmement difficiles qui sont survenues à la fin du convoyage étaient dûes à une grosse dépression qui passait au milieu du cana St Georges, à mi route entre les Scilly et l'Irlande, à 4 heures (heure d'été Anglaise que j'utiliserai toujours par la suite), le 2 Septembre. A 19H00, la dépression était centrée sur les côtes du pays de Galles. Elle se déplaçait vers le NE sur l'Angleterre, vers la mer du Nord, et s'était creusée pour atteindre 972 mb et provoquer par la suite une forte tempête sur l'Est de la Manche. Mais ces conditions étaient marquées par de fortes variations de force du vent sur de courtes distances. Les pires conditions étaient enregistrées aux alentours de Beachy Head et de Royal Sovereign. On le voit sur les cartes météo à 22h00, une heure avant le premier chavirage de Morning Cloud auquel je reviendrai plus tard. Le bateau était quelque part entre Royal Sovereign à l'Est où on avait force 10 à 23h00 et Ste Catherine sur l'île de Wight où les enregistrements du vent heure par heure donnent force 8 et ce durant seulement 2 heures. Morning Cloud et Casse Tête ont enregistré des vents de 45 à 50 nœuds et, si l'on prend en compte la différence entre le vent apparent et le vent réel 43 à 47 nœuds, gros force 9 à l'échelle Beaufort. La météo marine de la B.B.C. avait annoncé plus tôt dans la zone de l'île de Wight "un vent de secteur Sud force 6 à 8 virant SW avec possibles rafales à 9 plus tard" et à 13H55 "Sud 6 à 8, localement sévères rafales à 9 virant SW. Passage de fortes précipitations." Les prévisions étaient correctes mais j'ai mis les mots "possibles" et "localement" en italique car ce sont les conditions définies en tant que les plus probables par les bulletins météo. Don Blewett sur Morning Cloud et John Irving sur Casse Tête ont pris la même décision de continuer sans se concerter, car ils avaient toute chance d'arriver à l'abri de l'île de Wight comptant sur leur bateau respectif pour faire face au mauvais temps. Si l'on revient sur la route de Morning Cloud, il se trouvait légèrement à l'Ouest de Brighton à 18H30 sur sa route, après avoir pris de la marge par l"Ouest magnétique d'Owers Lanby (Grosse Balise autonome) qui avait remplacé récemment le bateau phare, le temps forcissait. Blewett donnait l'ordre anticipé de rouler un peu plus la grand voile en prévision de la détérioration météo. avant cela le petit génois était affalé sans être remplacé par le foc tempête qu'ils ne trouvaient pas. Cela ne le préoccupait pas plus que ça car il ne voulait pas risquer des manœuvres sur le pont avant très étroit, s'il fallait encore réduire il le ferait plus tard. La grand voile ensuite était enroulé des 2/3 de sa surface. Le bateau était prêt, s'il le fallait, à affronter une tempête. Avec cette voilure réduite, la vitesse tombait à 4-5 nœuds, ce qui n'était pas si rapide sur le fond à cause de ce foutu courant qui ne se renverserait pas avant minuit. Il avait bien fait de beaucoup réduire la toile car une demi-heure après le vent montait force è à 9 et la mer devenait terrible. Le haut des vagues déferlaient et se transformaient en écume dans les rafales, il devenait difficile de voir ou d'entendre sur le bateau. A la tombée de la nuit ils repéraient le feu de la bouée d'Owers. Le vent était monté à 40-50 nœuds, soit une moyenne de 45 nœuds avec de grosses rafales force 9. Morning Cloud continuait sa route sous sa grand-voile arisée, bien équilibré. Le capot de la descente avait été tiré mais un peu d'eau rentrait dans le carré car les portes n'avaient pas été installées. A 22H00 C'est Nigel Cumming, équipier très expérimenté, qui prenait le quart avec Gardner Sorum. Gerry Smith, le copain de l'autre quart était revenu plus tard sur le pont, calé dans l'étroit espace devant la descente et ne tardait pas à s'assoupir. Peu avant 23H00, 3 hommes étaient dans la cabine en bas, y compris Christopher Chadd, le plus jeune équipier, Don Blewett travaillait à l'avant dans la soute à voiles. Le temps s'écoulait ainsi jusqu'à 23H00 où Morning Cloud était frappé par une vague géante sur bâbord, le mettant au tapis si violemment que cela provoquait de gros dégâts, mais le bateau se redressait rapidement sur sa quille. Gerry Smith qui s'était réveillé tout de suite sous les trombes d'eau voyait alors que Gardner Sorum chalutait derrière retenu par son harnais.Il criait tout de suite "homme à la mer". Deux équipiers surgissaient sur le pont (Bob Taylor et Barry Kenilworth). Don Blewed s'arrêtait dans la descente pour démarrer le moteur avant de rejoindre les autres. IL mettaient 5 minutes pour remonter Gardner Sorum par l'arrière dans le cockpit, dans cette nuit noire et cette mer démontée. Il y tombait lourdement. Ce n'est qu'après qu'ils réalisaient qu'il manquait Nigel Cumming. Sa sécurité avait cassé et à cette heure il était déjà loin derrière, dans l'eau. Le bateau reprenait son cap et était encore manœuvrant. Bob Taylor prenait la barre et virait (Empanner aurait sans doute plié la bôme), aidé par le moteur qui allait bientôt caler. Morning Cloud refaisait la route inverse et les quatre hommes sur le pont cherchaient Nigel Cumming qui ne devait être qu'un tout petit point au milieu des déferlantes. Don Blewett descendait dans la cabine. Il voyait que plusieurs barreaux du pont étaient cassés et environ 30 cm d'eau au dessus des planchers. Il cherchait l'antenne radio dans le pic avant et l'installait. Il essayait ensuite d'émettre des signaux de détresse mais l'interrupteur du tableau électrique n'allumait pas l'émetteur. Ensuite il tentait d'envoyer des fusées de secours. La première et la deuxième ne marchaient pas et la troisième ne montait pas haut, à cause du vent violent qui régnait. Après avoir fait demi-tour vers là où Morning Cloud avait été mis au tapis, pour retrouver Nigel Cumming, le bateau reprenait sa route à l'ouest et poursuivaient leur recherche.
En arrivant sur la position où Morning Cloud avait été couché par la vague, Christopher Chadd est monté dans le cockpit. Il portait un gilet gonflable mais pas de harnais. Cela lui avait été crié à bord mais avec le vent il n'avait pas entendu la remarque. Juste à ce moment Morning Cloud était frappé par une autre vague monstrueuse. Cette fois il partait au tapis avec sa tête de mât qui s'enfonçait même sous l'eau. Il restait couché de longues secondes avec l'eau qui rentrait par la descente et le capot avant qui avait été enlevé par la mer une fois sa sécurité cassée (Boulon), le long des passes avant.. Puis tout à coup, il se redressait! La vague avait fait tomber Christopher Chadd par dessus bord. Il était aperçu dans l'eau à seulement à seulement une vingtaine de mètres. Bob essayait de lancer une bouée mais les bouts qui les retenaient au bateau étaient pris sous les cale-pieds qui s'étaient décalés avec la pression de l'eau. Tout a été fait pour lui jeter un bout de survie mais en quelques secondes il était perdu au milieu d'une mer déchainée. Les trois autres hommes sur le pont étaient sains et saufs, mais les barres de flèche du mât étaient tordues à 45° de leur position transversale initiale et le compas au dessus de la descente avait disparu. Le capot du caisson bâbord du cockpit avait disparu aussi avec le radeau de survie 6 places qu'il contenait. L'hiloire sous le vent était cassée au niveau de l'inscription du bateau ainsi qu'une partie du rail de fargue. Dans la cabine il y avait plus de barreaux de pont cassés encore, il y avait de l'eau jusqu'à la taille. C'était pls que prévu si l'eau était simplement rentrée par les capots. Parmi les survivants, Don Blewett avait une omoplate cassée ainsi que trois cotes dont l'une a perforé le poumon. Gardner Sorum avait aussi trois cotes cassées ainsi que son bras droit à 3 niveaux. Gerry Smith a eu une vertèbre cassée et 3 déplacées. Parmi les 7 hommes qui avaient embarqué à Burnham la veille, seuls deux s'en tiraient pas trop mal. La vie des 5 hommes à bord étaient en jeu et Don Blewett craignait qu'une autre vague identique aux deux autres envoie Morning Cloud par le fond. Il donnait l'ordre d'abandonner le navire. Le radeau de survie 4 places qui restait intact et était gonflé sur le pont et glissé sur le coté. L'embarquement aura été aisé car le pont de Morning était au niveau du radeau à l'eau. Gardner Sorum, très handicapé par ses blessures était aidé à débarquer puis l'amarre du radeau était envoyée. La perspective de dériver à 5 hommes dans un radeau de 4 places de nuit pendant une grosse tempête était sinistre et Don me confiera plus tard qu'il avait peu d'espoir de s'en tirer à ce moment là. La mer était aussi terrible qu'ils l'avaient imaginé, mais aussi étrange que cela puisse paraître, ils avaient de la chance d'être dans un radeau 4 places plutôt que 6 car le poids des 5 équipiers concentré au milieu agissait comme un lest. L'ancre flottante était filée ce qui stabilisait et réduisait la vitesse du radeau et de sa dérive, le taud agissant comme une voile. Peu à peu la mer se calmait quelque peu mais les mouvements du radeau provoquaient alors le mal de mer Avec le vent et la marée (qui allait se renverser vers l'Ouest), le radeau dérivait vers Shoreham. A cinq heures, avant qu'il ne fasse jour, des fusées à main étaient tirées, mais des tentatives ultérieures échouaient, y compris avec les fusées parachutes car elles avaient reçu trop d'eau de mer dans le radeau et étaient trempées. Il y avait un gros risque que le radeau soit jeté contre le brise lame de Shoreham mais à ce moment le vent virait et le courant à terre poussant à l'Est s'établissait. De fait le radeau se déplaçait assez vite dans l'Est, le long de la côte. Il passait Hove et à mi route entre la jetée du casino de Brighton et les marinas, il prenait les rouleaux à un quart de mille de la côte. Le premier retournait le radeau et son équipage qui était projeté à la mer directement a travers le taud.La vague suivant le redressait et deux des blessés étaient remontés à son bord avec l'aide des autres. Don Blewett (malgré ses blessures) et les deux autres restaient dans l'eau accrochés aux lignes de vie du radeau et nageant pour le guider dans les rouleaux jusqu'à la plage. Au final il était poussé jusqu'à ce qu'il touche le sable de la plage où des bénévoles rentraient dans l'eau pour les aider. Les rescapés touchaient cette plage à 07H33 et une ambulance arrivait rapidement pour les conduire à l'hôpital. Immédiatement après l'arrivée des survivants, l'alarme était donnée et les recherches de Morning Cloud entreprises avec le bateau de sauvetage de Shoreham, un hélicoptère et le bâtiment léger Glamorgan. Excepté un morceau d'hiloire portant le nom de Morning Cloud III qui s'échouera plus tard sur la plage de Shoreham dans la matinée, on ne retrouvait rien d'autre du bateau. Ce n'est qu'une semaine plus tard (le 10 Septembre) qu'on rapportait dans les journaux que deux petits chalutiers avaient pris leurs chaluts à deux milles au large de Shoreham (5 milles à l'Ouest de Brighton où le radeau avait rejoint la plage), à peu près à 12 mètres de fonds. On a demandé au patron du chalutier, qui était aussi plongeur, de faire des recherches et on découvrait que le chalut était pris dans l'épave d'un bateau. Il installait des cordages autour de l'épave et la faisait remorquer. Puis il était remonté à la surface et soutenu à des bouées à l'entrée du port. C'était Morning Cloud dont presque la moitié tribord était partie, il était démâté, sa quille et son moteur avaient aussi disparus. Il restait peu de chose du bateau à l'exception des bordés bâbord, mais les couples en avant de la descente étaient intacts. On pense que c'est la poche d'air qui était emprisonnée dans cette partie fermée du bateau qui aurait permis de remorquer l'épave à Shoreham. Il y a plusieurs théories sur les très gros dégâts au bateau. Pour moi, après son évacuation il a sans douté dérivé vers la côte en se remplissant régulièrement jusqu'à ce qu'il coule dans le courant quelque part où l'épave a été retrouvée. Son glissement sur le fond aurait pu être suffisant pour causer les dégâts si elle était positionnée sur le flanc et était resté à cogner sur le fond une semaine. Cette semaine là une nouvelle tempête de SW avait eu lieu. Je vais maintenant revenir à la position de Morning Cloud au moment où il a été frappé par la première vague que l'on situe à 9-10 milles à l'Est d'Owers. La visibilité était bonne entre les bourrasques et Don m'a dit qu'il avait identifié les feux d'Owers Lanby avec certitude, par ses éclats brefs qu'on ne peut confondre. Le courant de marée avait poussé Morning Cloud un peu plus au Nord de la route de Casse Tête, ce feu était bien à bâbord devant. Cela a été confirmé par deux équipiers qui étaient sur le pont et qui sont des hommes très expérimentés. Si l'on regarde la carte marine qui couvre la zone d'Owers à Beachy Head, je vois qu'à la position estimée de Morning Cloud on a environ 20 mètre d'eau qui varient en hauteur selon les marées. Quand j'ai demandé son avis à Laurence Draper il m'a dit qu'avec cette profondeur les vagues n'ont pas dû être affectées par les fonds, et que, par conséquent, des vagues de taille anormalement élevé, ou des trains de vague n'avaient pu se former qu'avec la combinaison de plusieurs systèmes de vagues. Il m'a dit, de plus, dans une profondeur de 10 mètres on pouvait avoir la formation de vagues de tempête comme on peut en voir déferler sur une plage quand la houle s'en approche. C'est un point important que nos lecteurs devront garder à l'esprit à l'avenir. Malgré tout, de très hautes vagues peuvent se former dans des eaux plus profondes comme on l'a vu avec cette vague de 13 mètres de haut sur le bâtiment "Daunt", comme indiqué par Laurence Draper dans son deuxième appendice. Elle s'est formée avec 33 mètres de fond, d'autres exemples ont été référencés. Les deux vagues qui ont frappé Morning Cloud devaient être atypiques quant à leur hauteur et leur côté escarpé. Elles correspondent à des vagues anormales présentée dans ce livre où un yacht peut-être remonté jusqu'au sa crête et retomber de tout son poids sur l'eau en bas, endommageant sa coque lors du choc avec la surface. C'est ce qui est arrivé à Humphrey Barton et son bateau Vertue XXXV en 1950, et qui est arrivé à d'autres bateau par après. Les dommages aux bateaux relatés dans les exemples précédents se limitaient alors au bris des hublots du roof ou à la casse de ses mains courantes. Dans le cas de Morning Cloud les dégâts causés par les deux vagues ont été beaucoup plus conséquent car la structure du bateau a été atteinte.
Conclusions: lors de l'enquête effectuée par le Coroner pour cet accident, Mr Blewett a été totalement exonéré de toute responsabilité dans le naufrage de Morning Cloud et de la perte de deux membres d'équipage. Il avait circulé des commentaires peu sérieux et infondés qui avaient circulé et je rend hommage à ce verdict.
Abris à la côte: on a de la chance que Casse Tête soit passé au même endroit sans encombre. Je pense que les deux bateaux auraient été en sécurité s'ils avaient tiré un bord vers le large dès qu'ils avaient aperçu le feu d'Owers qui passait sur le bâbord de leur bateau. Ce désastre renforce les recommandations que le RORC avait lancées après la tempête de 1956, en Manche, qui dit, à la page 311 :"Il est préférable d'être en pleine eau, au large, loin des influences du rivage... C'est le meilleur moyen de passer à travers sans encombre."
Radeaux de survie: Le fait qu'un radeau 4 places ait pu atteindre la plage avec une très grosse mer et dans les rouleaux prouve la grande solidité des radeau embarqués sur les yachts. 5 hommes lui doivent la vie.
Harnais de sécurité: La rupture du bout d'un harnais sur Morning Cloud a couté la vie à l'un des équipiers, on nous a aussi rapporté d'autres cas de rupture de sangles, de mousquetons. Il est possible que le choc sur le harnais soit plus grand parfois, qu'estimé. Rien n'est plus dangereux qu'un engin de sécurité à qui l'on a toute confiance et qui lâche quand on en a besoin. Je pense qu'il y a un gros problème avec les tests imposés aux harnais et aux bouts de sécurité, il y a maintenant de nombreuses marques en vente. Le Velcro permettant de fermer le taux et son bout d'ajustement n'est pas totalement adapté. Il a fallu tenir ce taux à la main parfois et malgré tout, d'énormes quantités d'eau embarquaient.
Fusées de détresse: certaines des fusées n'ont pas fonctionné à bord de Morning Cloud comme à bord du radeau de sauvetage car il y avait tempête sur l'un et elles ont été mouillées sur l'autre. Ces défauts de fonctionnement n'ont pas causé de perte humaine mais elles ont empêché l'envoi de signaux de détresse au moment où on en avait besoin.
Capots de pont: sur les bateaux de course modernes, les capots de pont doivent être grands pour faciliter le changement des voiles. Durant cette dure tempête, un boulon a cassé sur le capot avant de Casse Tête et trois tournaient fou. C'est simple à réparer par beau temps, mais c'est risqué d'avoir un équiper sur l'avant pour réparer dans un coup de vent. Sur Morning Cloud, le capot a été arraché par la deuxième vague et a laissé une entrée béante de 3 m2 à l'eau de mer pour rentrer en cascade. Le renforcement de la solidité des capots avant est certainement une chose à prendre avec plus 'attention.
Pompes: dans un bateau, le manque de soute profonde rend difficile le pompage de toute eau dans les fonds avec le mauvais temps. Les pompes n'amorcent que par intermittence, que lorsque la crépine d'aspiration est recouverte d'eau, quand elle passe d'un bord à l'autre. (J'ai eu ce problème sur Cohoe V, S&S 31). Comme Butch Dalrymble-Smith l'a fait remarquer à propos du naufrage de Sayula II, "la meilleure pompe de cale est un seau entre les mains d'un homme qui a peur".
Dernier point: on m'a fait remarquer que les très hautes vagues issues de la synchronisation de trains de vagues ne devaient pas être qualifiées "d'anormales" puisqu'elles sont issues de phénomènes naturels. Mais toutes les mers ont été formées naturellement, c'est donc quelque peu prétentieux de dire cela. C'est la forme et le côté abrupt autant que leur taille de la vague qui peut causer des dégâts. Le désastre du naufrage de Morning Cloud rajouté à ceux cités dans mon livre pourrait être source d'anxiété mais j'insiste que de tels évènements sont très rares et que leur nombre est infinitésimal comparé à toutes les traversées effectuées sans encombre par des yachts tout autour du monde.
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4) TEMOIGNAGES
Cet Anglais traversait la manche en Ferry au moment du Naufrage
L'équipage nous dira que s'ils avaient su que les conditions étaient aussi mauvaises, ils n'auraient jamais quitté Calais, ce qui corrobore que Morning Cloud n'avait pas trop d'idée sur ce qui les attendait. Quand j'ai appris son naufrage, ça n'a pas été une surprise et je n'aurais jamais voulu vivre une telle expérience dans ces conditions."
Cet Anglais convoyait un Swan 65
On convoyait pour livraison notre Swan 65, depuis le canal de Kiel jusqu'à Saint Malo, au moment du naufrage et on a dû se ramasser à Calais. Des trombes d'eau! Un vent d'enfer. On appris à la radio que Morning Cloud avait disparu. C'était très triste car l'un de nos membres d'équipage connaissait la plupart de son équipage. On est reparti le lendemain, le vent était passé sous les 45 noeuds.
Cet Anglais devait convoyer "Sasha" depuis Burnham
NOus avons vu sortir Morning Cloud avec un équipage presque au complet mais nous avons été retenu une heure par un petit problème technique. On est parti et à mi route du chenal de la Tamise on a pris les bulletin météo pour Douvres et Wight. Ce n'était pas drôle du tout et avec seulement trois personnes à bord j'ai décidé de rentrer à Burnham et d'attendre quelques jours. Tôt le matin, le lendemain, un bateau du club venait me dire qu'il fallait que j'appelle le propriétaire. Je suis descendu à terre et j'ai discuté avec cet homme angoissé qui voulait comprendre pourquoi on était encore à Burnham, et qui m'annonçait que Morning Cloud avait sombré. Cloud et Sasha sortaient du même chantier, Lallows, ils étaient quasiment sistership. On les connaissait en tant que concurrents mais aussi comme amis et leur perte a été très dure. Ted Heath en a beaucoup souffert bien qu'il ait été confronté à des morts violentes durant la deuxième guerre mondiale. En 2005 je fouillais parmi des livres d'occasion chez Bookbarn près de Shepton Mallet, et je suis tombé sur une copie du bouquin de Heath "la course de ma vie". Il était signé par son auteur et dédicacé à son neveu, Christopher Chadd qui s'est perdu en mer lors du naufrage du "Cloud". J'ai tremblé et je me suis effondré en tenant ce livre en main, je regrette de ne pas avoir eu le courage de l'acheter...
Témoignage de P_Wop sur "Owers".
Il y a un fort courant qui passe dans cette zone d'Owers. Il n'y rien au fond et c'est assez très peu profond. On est secoué continuellement à son passage. C'est sans doute pour cela que tout le gréement est parti, et la quille aussi. La quille, après s'être détachée de la coque a dû couler rapidement sur le fond sableux et le sable se déplace et bouge à chaque marée. Tout est au fond, quelque part... Vous devriez demander aux gars qui ont fait l'expédition pour le Yarmouth IOW, il y a des lustres, pour y établir sur des bancs de sable le quartier général du "South West Shingles Yacht Club" à la sortie Ouest du Solent. Ils se sont amusés à débarquer une bétonnière lors d'une marée basse à gros coefficient pour couler les fondations. Mais le travail de l'équipe était arrêté par la marée montante (Et sans doute beaucoup de Rhum) et le projet abandonné. La bétonnière n'a jamais été retrouvée, complètement recouverte par les bancs de sable qui se déplacent. Par beau temps calme avec un petit bateau, si vous passez au dessus du banc pour pourrez entendre les pierres des hauts fonds qui roulent sous votre coque. C'est sans doute le son le plus étrange que j'ai pu entendre en mer...
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4) Photos et documents
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6) CONCLUSIONS
6.1) D'APRES LES PHOTOS DE L'EPAVE
On peut imaginer que les plongeurs qui sont intervenus pour le renflouement de l'épave aient sectionné des haubans ou des écoutes pour faciliter le travail? D'autre part, les embouts des haubans sont en inox, fixés par un axe inox ajusté dans des joues, sur la cadène elle-même. Des chocs violents à angle droit peuvent aboutir à des ruptures nettes. (Déplacements brusque de l'épave sur le fond, cf témoignage de P_Wop)) Photo 9 : outre le constat évident que le flanc tribord du bateau à entièrement disparu jusqu'à l'axe de quille, on peut tout de même distinguer 4 à 5 écoutes qui pendent depuis le pont et qui semble reliée à des lambeaux de voile en dacron blanc, tout en bas. Le safran et son bustle, le moteur ont été arrachés. Au niveau de la quille, la coque a été arrachée sur plus de sa moitié, le vide s'étend sur 1/3 bâbord. Par contre les varangues situées devant la cloison de mât sont en place et pas celles derrière elle... cela nous donne des pistes de réflexion pour savoir comment les dommages à la coque se sont produits...
6.2) QUANTIFIONS LES DONNES MISES EN OEUVRE LORS DU CHOC AVEC LA PREMIERE VAGUE
John Irvin, skipper de "Casse Tête" a parlé d'une vague d'environ 8 mètres de haut dans les parages du naufrage de Morning Cloud III. J'ai fait un schéma avec une vague qui fait monter Morning à 8 mètres au dessus de la surface de l'eau puis retomber de tout son poids gité à 90° comme raconté par Don Blewett.
Nous prendrons comme hypothèse de base des calculs des forces en jeu un bateau avec une vitesse nulle en haut de la vague (Sur les trois plans) tombant en chute libre de son poids, de 8 mètres. Le déplacement total du bateau est arrondi à 12 Tonnes et celui de son lest à 6,8 tonnes. Si on arrondi aussi l'accélération de la pesanteur de 9,81 à 10 m/s2 , quand la coque a touché l'eau, elle a subi une poussée verticale de la mer de 10 x 12T = 120T et le centre de gravité de la quille a créé un couple de torsion en sens inverse animé par une force de 68 Tonnes. Pour ceux qui sont plus à l'aise avec les "Newton", on a estimé sur les mêmes bases le choc à 120.000 Newtons. A son contact avec l'eau sous la vague, Morning devait avoir atteint la vitesse de 45 km/h en un peu moins de deux secondes.On considère aussi, pour simplifier, que la surface de l'eau n'a pas amorti la chute et que le bateau est revenu à une vitesse de chute zéro dès le contact avec l'eau, ce qui empire un peu la situation car elle a un peu amorti le choc en laissant la coque s'enfoncer sous la surface... Enfin une remarque sur la vitesse du bateau à la rencontre de la vague monstrueuse: Contrairement à Adlar Coles, je suis persuadé que la vitesse de progression du bateau est un élément de sécurité supplémentaire. En effet, d'abord elle permet d'avoir un bateau qui répond beaucoup plus vite aux demandes de changement de direction. Ensuite, quand elle est bien dirigée, dans le sens de la houle ou par son travers (fuite), elle permet d'éviter des impacts de la mer sur le yacht et de "protéger" l'équipage sur le pont ainsi que le bateau et son gréement. Enfin, dans le cas de Morning Cloud III, s'il avait marché à 6-7 nœuds et non à 4, il aurait eu une composante vitesse plus significative au moment où il est retombé de la vague et cela aurait réduit (un peu) l'énorme impact. La bonne voilure pour le bateau était celle de "Casse Tête", tourmentin et grand voile 1/3-1/2 arisée. C'est elle qui permettait d'affronter toutes les variations de vent subies par MCIII, sans avoir à faire aucune manœuvre sur le pont autre que le réglages des écoutes pendant tout le convoyage. Un choc d'un tel ordre de grandeur sort sans doute des normes appliquées par les architectes pour la résistance des matériaux utilisés sur de tels yachts. Le bordé a enfoncé les couples de sans doute plus de 10 cm, comme la cloison de mât qu'on voit décalée sur la photo 9. Avec ce déplacement qui a enfoncé la serre-bauquière, le liston, et cassé des barreaux de pont, le pont a dû se bomber, voir se briser par places, faisant sauter les capots avant et de descente.
Le retour de galbord, le contre-galbord, voir le ribord ont du bouger aussi, provoquant la grosse fuite sous la flottaison, suspectée par Blewett en voyant la vitesse de la montée de l'eau dans le bateau. Sur la photo 9 on a remarqué qu'au centre de la fixation de la quille, le retour de galbord a cassé au dela du côté bâbord de la coque, contrairement aux bordés tribord. (On voit bien ce vide arrondi côté babord). Sur le schéma de la vague et du couple des forces générées par la chute, c'est bien au niveau du retour de galbord gauche que la coque a subi la torsion, d'où ce constat sur la photo 9.Cette partie de la carène d'un autre Morning, le Morning Cloud II, avait créé des soucis à E. Heath. Il raconte en effet dans son ouvrage, "Sailing - A course of my life" que lors des premiers essais en mer, le bateau faisait de l'eau par le retour de galbord. Il avait été sorti de l'eau et remis au chantier Lallows pour renforcements de la carène sur les conseils de Rod Stephens lui-même. Il est vrai que ces années là, avec des bateaux de cette taille et de ce déplacement, on atteignait les limites de contraintes que l'on pouvait imposer aux carènes, qu'elles soient en bois moulé ou en polyester. Les gréements dormants en "Rod Rigging" venaient se rajouter au problème, car beaucoup moins sensible à l'allongement. Il était fréquent que la coque "vienne" un peu sous les tonnes de pression passées dans le vérin du pataras. Pour des bateaux en bois, je pense que le problème était plus sensible qu'avec les nouveaux matériaux polyester (Moins de souplesse intrinsèque). Je l'ai personnellement vérifié sur les deux Swan familiaux que j'ai menés en course, un 37 et un 41. Sur des carènes très similaires, mais en acajou à la même époque (prototypes), S&S avait inclus des structures métalliques fixées sur les varangues et les couples pour reprendre les efforts colossaux de compression transversaux ou longitudinaux. Je ne remet pas en cause l'extrême sérieux du cabinet S&S et des chantiers Lallows, mais je ne peux que noter l'extrême coïncidence (MCII est du même architecte, du même chantier, du même bois que MCIII, Sagitarius est en acajou aussi, et sistership lancé la même année que MCII) des renforcements opérés sur ces bateaux de course depuis les années 1971. J'ajouterais enfin, que le quasi sistership de MCII (version avec roof), Sasha, subira aussi, par la suite, des fuites d'eau par les boulons de quille. Si le tableau électrique pour commander l'émetteur était installé sur le bordé intérieur bâbord, comme je le suppose, de l'eau qui est rentrée au dessus de la flottaison et a pu endommager les circuits électriques et rendre l'émetteur inutilisable. Le moteur diesel a dû caler, quant à lui, quand il a respiré de l'eau de mer par les filtres à air, puisqu'il y avait plus de 30 cm d'eau dans la cabine, au dire de Don Blewett, toujours.
La quille qui était en place après le choc, puisque le bateau s'est redressé brusquement, a dû être arrachée ainsi que le mât et le gréement courant, quand Morning a dérapé sur les fonds avec les forts courants règnant dans la semaine qui précédait son renflouement. L'observation des varangues supportant le devant du lest devrait permettre de conclure soit à une rupture des boulons de quille soit leur passage à travers les varangues, (comme des clous qu'on arrache avec une paire de tenailles), mais ceci une fois le bateau coulé. Les dégats du chocs ont cependant dû être tels que la coque était déjà "pré-découpée" par des fissures ou des cassures autour de la partie manquante, avant de couler.
6.3) LECONS A TIRER DES RECITS DU NAUFRAGE
Décision de prendre la mer
De mon expérience de skipper, je n'ai jamais pris la mer avec des prévisions à plus de force 7, sauf si nous étions dans une phase tendant à une accalmie durable. La seule fois où j'ai pris la mer avec notre Swan 41 familial avec plus de force 8, c'était avec tout son équipage de course, après une journée de régate annulée, en baie de Quiberon. J'avais testé les harnais sur les gars, les voiles tempêtes (Foc et GV), et le comportent du bateau. Cette sortie qui m'a beaucoup servie dans mon appréhension du gros temps , elle n'a durée que deux heures, de surcroît. La toile du temps avait été établie et les points de tire réglés en sortant du chenal du port, nous n'avons eu qu'a régler les écoutes en mer avec les différentes allures testées. J'ai pu voir qu'il était quasi impossible d'envoyer un équipier d'avant pour changer le foc sans risquer qu'il tombe à l'eau ou qu'il revienne dans le cockpit épuisé et non dispo pour la suite des évènements. La moitié des équipiers avait le mal de mer en rentrant et souffrait du froid, étant trempé. Je n'ose imaginer ce que cela aurait été si cela avait duré plus de 24 heures avec une mer encore plus dangereuse, et de nuit.... Je n'aurais donc pas pris la mer ce 2 Septembre à Burnham.
Harnais et longe de sécurité
C'est un peu révoltant de constater que la longe de harnais de Nigel Cumming n'a pas tenu le choc. Les tests faits après l'accident au N.E.L ont montré qu'elle cassait à 800 kg de charge alors qu'elle était garantie pour bien plus par le fabriquant. Tout le problème réside dans les tests qui s'effectuaient en "statique" à l'époque. Les meilleurs longes de harnais de "montagne" sont résistantes à 1.200 dnA (dekanewton), soit une force développée par un homme de 120 kg chutant de 100 mètres et comportent des "témoins de chute" (Plis surpiqués qui jouent le rôle d'amortisseur). J'espère que le matériel pour la plaisance s'en inspire de nos jours....Je n'ai pu vérifier quelles normes étaient appliquées sur les harnais de plaisance car elles sont payantes et le consommateur n'a donc pas un accès facile à celles garanties par son matériel, je trouve cela incompréhensible du point de vue de la défense du consommateur et de la sécurité.
Capot de pont
En matière de résistance, je pense que l'on devrait privilégier les capots de pont ou de descente "coulissants", ils sont plus près du pont et offrent donc moins de surface à l'arrachement aux paquets de mer que les capots du commerce "ouvrants" et surtout ont plus de résistance au "souffle" car la résistance est répartie sur les 2 glissières et non sur une seule molette de retenue.
7) Mémorial Morning Cloud III
Un mémorial de ce naufrage qui a causé la perte de de jeunes hommes à bord du Morning Cloud III du premier ministre, Sir Edward Heath, a été érigé, 41 ans après l'accident. Une section de l'étrave à été exposée dans l'ancienne demeure de Sir Edward Heath, Arundells, à Salisbury. Le mémorial a été inauguré par Sir Ben Ainlie le 15 Mai 2015 et nous rappelle le terrible évènement de la nuit du 2 Septembre 1974. C'est aussi un mémorial pour les deux hommes perdus en mer : Christopher Chadd et Nigel Cummings. La demeure de Sir Edward Heath est située près de la cathédrale de Salisbury a été donnée à un trust après sa mort et est ouverte au public en semaine. Pour la petite histoire, l'étrave de MCIII a été rachetée sur Ebay par une femme, membre des "amis d'Arundells", Sally Tatersall, qui en a fait don au musée dans la propriété d'Arundells, après restauration par Dickens Marine puis Clare Lallow. Ce mémorial permet de se souvenir de cette tragédie. Lors de l'inauguration, Sir Ben Ainslie a déclaré : "cela servira au souvenir de la mort tragique de Nigel Cummings et Christopher Chadd." C'est aussi un précieux apport à la collection de trophées, de peintures et de maquettes rassemblées à Arundells.
Le site internet d'Arundells est : https://www.arundells.org/
FIN
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