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Julian Everitt parle de Bruce Farr

 

Julian Everitt nous parle de Bruce Farr ...

 

Cet article est la traduction libre du texte publié par Julian Everitt dans sa page facebook en ce début 2020

 

 

 

 Pour être architecte naval, il faut des prédispositions. Il faut faire faire le bon choix face à un certain nombre de conditions requises. Les grands architectes ne sont pas  des suiveurs de mode, qui eux, sont sous influence, pour la majorité d'entre eux.

 Quand Bruce Farr est rentré dans le monde de l'IOR et l'Admiral's Cup avec Gerontius en 1975, il avait derrière lui une carrière à succès d'architecte de dériveurs en Nouvelle Zélande, pays qui avait plus d'architectes navals par tête d'habitant que nulle part ailleurs dans le monde! C'était aussi un pays de grands navigateurs qui aimaient les bateaux rapides dénués de toute influence de jauge. Cette partie "obscure" des dessins des bateaux pour le RORC ou la CCA avait peut-être éludés nos libres penseurs Kiwis… La règle internationale, l'IOR introduite en 1970 offrait tout de même une chance aux jeunes architectes navals Néo Zélandais à s'impliquer pour des yachts qui n'étaient pas seulement rapides, mais capables de courir sous ces règles internationales.

 Deux architectes Néo-Zélandais durant ces débuts de l'IOR, Ron Holland et Bruce Farr, choisissaient alors des routes très différentes pour exploiter ces formules complexes de jauge…Ron semblait être le meilleur pour interpréter les règles et les exploiter à fond, alors que Bruce semblait en faire peu de cas ou pas du tout. Tous deux ont eu de la réussite, ce qui démontrerait l'efficacité de l'IOR, en tant que formule pour égaliser les performances de bateaux avec des caractéristiques très éloignées. On se souvient qu'elle a été la seule jauge durant 20 années à suivre.

 Bruce Farr a eu la chance que deux de ses bateaux issus de ses idées originales, la même année, aient pu démontrer leur potentiel au niveau de la voile mondiale sur la scène internationale.

 Son 42 pieds, Gerontius, avec Farr en personne à bord, réalisait une performance respectable dans l'Admiral's Cup 1975, se classant 11ème bateau à titre individuel et meilleur bateau de l'équipe Néo-Zélandaise. Les deux sisterships, 45 Degrees South et Genie, réalisaient quant à eux une performance éclatante dans la Quarter Ton Cup à Deauville, en France.

    

 

                                                  

 

        

 

45 D.S. devait l'emporter parmi une flotte de 43 bateaux de course très optimisés pour l'IOR. Cela aurait pu être l'arrivée d'un nouvel architecte se joignant au club Peterson/Holland démarré deux ans plus tôt. En fait Farr abordait la question de l'IOR sous un angle tout différent. Ses bateaux ne ressemblaient tout simplement pas à des bateaux de course de son époque! Son "Admiraler" avait l'allure d'un bateau de croisière avec un grand roof, un petit cockpit et un gréement en tête très ramassé qui donnait l'impression de ne pouvoir faire avancer le bateau que dans de la brise. Les deux "Quarters" partageaient des lignes plutôt croisière comparées aux machines extrêmes qui régataient à travers le monde. Mais sous ces lignes extérieures conservatrices se cachaient les œuvres vives dessinées par Farr, elles allaient signer presque tous ses futurs dessins…

 Avec surtout les Quarters 45 Degrees South et Genie, on découvrait de nouvelles voies en IOR, autres que celles ouvertes par Peterson en 1973. La phylosophie de Farr, paufinée par le dessin de dériveurs, de dayboats ou de bateaux de course au large non liés à une jauge particulière s'orientait vers des déplacements toujours plus légers, des lignes arrières très larges et ouvertes et des étraves très pincées. Il avait en fait déjà appliqué ces dessins pour l'IOR avant, en 1972, avec Fanzipantz, bateau de la taille d'un  Quarter Ton qui n'avait pu valider les performances de ce style de plans faute de comparaison à l'international jusqu'à Deauville en 75.

 Il n'y avait quasiment pas de bosses de jauge à ces plans très "propres". Afin de gommer les désavantages de jauge de ces carènes non "optimisées", les gréements étaient réduits. Mais autant Farr faisait fi des règles IOR en matière de carène, autant il aura utilisé les avantages généreux apportés aux gréements fractionnés. Farr, avec d'autres architectes Kiwis de petits bateaux, développa le gréement fragmenté de type dériveur. Cela permettait de mieux réduire la puissance du bateau dans la brise avec des formes de coque légères qui auraient mal supporté un gros génois en tête. C'est cette grande possibilité de la jauge IOR d'avoir des surfaces de voile non prises en compte par rapport aux gréements en tête qui amènera ce look inhabituel des plans Farr-IOR.

 

 

 

Ce serait difficile d'illustrer par un seul de ses dessins  l'intelligence de Bruce Farr en tant qu'architecte naval. Ses dessins ont  été dominants à un moment où un autre depuis 1975, partout dans les courses océaniques en IOR, en IMS et chez les bateaux de série aussi. Sous cet angle, le dessin qui aura le plus de succès en yacht monotype sera le Farr 40.

         

 

Grâce à des longueurs à la flottaison très importantes, la règle très favorable des gréements de Ketch (Farr aura été le seul architecte a voir les avantages d'un gréement de ketch sur une épreuve au large) verra le jour en IOR. Bien que plus long que tous ses concurrents, il aura aussi plus de surface de voile, et, ironie du sort, cela les rendra plus rapide dans les petits airs…

Le succès génère la jalousie et avec elle le souhait de supprimer les ingrédients de ce succès, Bruce Farr en a souffert plus que quiconque chez les architectes. Bien sûr on avait connu des bateaux surprenants contournant la jauge, comme la goélette Cascade dessinée par Jerry Milgram ou le bateau à double dérive, Terrorist, mais ils sont restés uniques, ou recouverts par la vase très vite. Farr était le sujet d'une attaque de la part des concepteurs de l'IOR qui touchait à sa philosophie même en matière d'architecture…

Après son succès dans la Quarter Ton Cup de 1975, Farr suivait les mêmes idées en dessinant ce qu'on considérait comme une catégorie de gros bateaux, un One Tonner pour faire le championnat du monde en Méditerranée.

Les deux bateaux,  45 Degrees South II et Jiminy Cricket (Pan N°51), tout en étant des "flush-deck", étaient comme les Quarter Tonner, avec un déplacement très faible,  des arrières très larges et ouverts, avec des quilles semblables, et surtout des gréements fractionnés aux allures de dériveur.  Il a été démontré que ce type de gréement a plus que contribué au succès des Quarter Tonner et s'est révélé très utile pour les équipages pour changer la toile et continuer à faire marcher le bateau dans des conditions difficiles. Mais sur des One Tonner plus gros, dans les conditions difficiles rencontrées en Méditerranée, ce gréement ultra simple révélait son talon d'Achille. Dans des conditions ventées de la première régate, le duo finissait 1er et second, mais dans de la petite brise et de la mer hachée, au fur et à mesure des manches, ils se voyaient rétrograder à la 4ème et 5ème place du classement général.

 

L'une des évolutions majeures de la One Ton Cup 1976 sera le dériveur lesté vainqueur, Resolute Salmon, dessiné par Britton Chance. Cette approche sera complètement reprise par B.Farr pour ses nouvelles générations de bateaux en 77. Il devenait clair que ces avantages procurés par la dérive en IOR étaient incontournables, car procurant près d'un pied de moins mesuré à la flottaison, non pris en compte pour le rating. Pour la première fois, avec cette faille, Bruce Farr explorait des tas d'options tout en gardant ces lignes pures qui étaient sa marque de fabrique. Les conséquences en furent éblouissantes! Ses gros dériveurs, avec des gréements au tiers inspirés par l'IOR, avec des haubans dans l'axe, des bastaques et des étais larguables, remportaient la One Ton Cup 77.

 

      

      

 Mais les tenants de la jauge n'appréciaient pas ces évolutions. Ce qui est intéressant c'est que les différentes approches des dessins de Doug Peterson et Bruce Farr se réduisaient à portion congrue. Peterson s'appropriait les avantages de la dérive de Resolute Salmon et le potentiel de vitesse des carènes de Bruce Farr pour construire son propre dériveur lesté, le One Tonner B195. Par l'aspect et les performances, les résultats des architectes respectifs restaient très similaires.

 Bruce Farr, malgré tout se faisait remarquer par les responsables de la jauge, conduits par Gary Mull et Olin Stephens avec son plan Mr Jumpa (2ème aux championnats du monde 1977). Il était montré du doigt comme "le plan" qu'il fallait taxer dans les mesures de changements IOR de la prochaine saison 1978. Mais ce n'était pas que les dérives qui devaient être taxées… Il fallait mettre fin à ces arrières dégagés et larges de Farr, encourager la sécurité en mer avec des bateaux plus lourds et plus stables.

 Les effets de ces changements dans la jauge allaient avoir des effets dévastateurs pour les affaires de B.Farr. Non seulement les clients de l'époque pleuraient sur la décote de leurs bateaux mais de nouvelles mesures arrivaient. L'IOR avait décidé de casser ce rebelle aux règles, B.Farr. L'avenir démontrera que c'était une réaction excessive. Après cette phase, qui a dû paraître une éternité aux yeux de B.Farr, il revenait sur la scène avec un bureau aux Etats Unis et un ancien ingénieur, Russel Bowler, à temps plein cette fois, pour essayer de se redéployer auprès des clients Américains. Il revenait à temps après quelques trois ans en dehors de la scène de l'architecture IOR, il tenait sa vengeance, c'était une deuxième vie qui allait le voir dessiner des vainqueurs dans toutes les catégories, dans l'Admiral's Cup, les Maxis IOR, et remporter la course autour du monde dans le giron de l'IOR…

                        

 

 

 Bruce Farr, comme beaucoup d'autres architectes de bateaux IOR était beaucoup plus favorable à un développement de l'IOR qu'à son remplacement par une autre jauge. Mais il échouera avec quelques autres à retenir une marée montante enthousiaste pour l'IMS. Il est amusant de remarquer qu'une fois les décisions prises, le représentant du cabinet Farr, Geoff Stagg, déclarera à la sortie de la réunion annuelle qui décidait de l'avenir de la jauge : " peu importe ce que vous faites, donnez-nous une jauge internationale avec laquelle on peut travailler, et nous ferons des bateaux qui gagnent! Sûr de lui lorsque l'IMS promouvait majoritairement les bateaux de course-croisière, le cabinet Farr dessinait les tout puissant "Gaucho", machine de course avec des options croisière. Comme nous le savons tous ces compromis liés à l'IMS allaient se révéler impopulaire et causer la mort de ce concept international de jauge de course au large. Farr était là aux débuts de l'IOR, la plus grande jauge de course au large de tous les temps, il a gagné au début et il a gagné à la fin, il gagne encore.

                                                                                 
                                                       
                                                            

 La seule épreuve dans laquelle Farr n'ait réussi est la Coupe de l'America et ce n'est pas par manque de volonté ou faute d'opportunités. Le fait de ne pas remporter le plus grand évènement en matière d'architecture navale, ceci dit après que Doug Peterson y soit arrivé, s'explique par le fait qu'un bon dessin ne peut gagner sans une campagne entière derrière lui. Farr, sans aucun doute, a dessiné des AC très rapides. Il serait difficile de raisonner et de se dire que la jauge, et l'idée qu'il en avait, l'aurait desservit. Cela n'a jamais provoqué de contrariétés de la part du maitre en personne, Olin Stephens, qui était habitué à papillonner parmi les règles. Mais les tentatives de Farr de mettre la main sur la coupe de l'America lui ont toujours échappé.

              

 

               

 

Comme la plupart de ses concurrents architectes le voudraient, j'aimerais comprendre comment Farr a tiré la quintessence de l'équation du rating et trouvé une telle vitesse à  la clef. Cela peut arriver avec l'environnement, mais quelques fois il y a un petit "plus". A ce jour, j'ai embarqué sur des dessins de Bruce Farr et en ai barré quelques-uns, et ils ont vraiment un côté "magique". Pour moi, cela tient à la relance du bateau sur le nouveau bord. Je ne pense pas à  la vitesse de relance par elle-même, qui caractérise presque tous les bateaux. Je ne peux que le raconter, sur les bateaux de Farr sur lesquels j'ai navigué, c'est comme un côté magique lié au dessin. Bien sûr, avec de la chance, toute la communauté des architectes doit compter un dessin "magique" dans son portefeuille, mais Farr en a tant qui brillent sous la poussière d'étoile.

 Quand on pense que cet homme a démarré sa carrière internationale sur les rivages éloignés de Nouvelle Zélande, sans suivre la mode et toujours attaché à ses principes architecturaux pour ses bateaux, fins et larges à l'arrière... Il a survécu a des brusques changements de jauge destinés à faire dérailler la philosophie "Farr" et a monté un bureau aux USA. Avec ses compétences intuitives en voile, il a bien été récompensé en retour. Il peut se targuer d'être l'architecte naval ayant obtenu le plus de succès, plus de 43 titres mondiaux avec sa signature et de 1.500 bateaux de course-croisière signés de sa main.

 

                   

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