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La fin de l'IOR

 

La fin de la jauge IOR

 

Cet article est la traduction libre du texte publié par Julian Everitt dans sa page facebook en ce début 2019

 

 

 

 Il y a un certain temps David Macfarlane posait la question suivante : "Pourquoi est-ce que l'IOR est morte?". La réponse est étonnement simple, et n'a que très peu de choses à voir avec une récession économique, des coûts croissants ou délirants, ou avec le fait que les bateaux ne soient pas marins ou rapides. 

 Les membres du comité technique international (ITC) en sont les vrais responsables, ils avaient la charge de protéger et de développer la jauge au bénéfice des propriétaires. Ils ont signé son arrêt de mort quelques 6 ans avant que la bête soit enfin déclarée morte. Ce n'a pas été un acte délibéré, aucunement, c'est juste arrivé parce qu'il y avait un intérêt croissant pour une nouvelle super jauge qui aurait guéri tous les maux du handicap en course au large. Elle s'appelait IMS, Système de Mesure International.

 L'IMS est une initiative très "Américaine" issue de l'intérêt naissant d'idéalistes de l'Institut de Technologie du Massachussetts, (MIT), pour les ordinateurs. Cette croyance en un système parfait gagnait le MIT puis se développait en considérant que l'IMS pourrait remplacer la jauge IOR pour la course au large. D'un coup, l'IMS était perçue comme un système de handicap qui aurait permis au bateau de croisière de monsieur tout le monde d'être au niveau des bateaux de course.  

 Le décor était alors dressé pour une confrontation entre les deux jauges. Curieusement cependant, cette concurrence se jouait principalement derrière des portes closes, celles du Comité Technique International. Cet ancien groupe d'architectes et de spécialistes informatique avait fait un travail logique de développement de la jauge Mk I IOR d'Olin Stephens et de Dick Carter, vers une Mk III encore plus complexe. Ils avaient dû négocier les attaques des gréements de "Cat boat", des dériveurs lestés, des élancements extrêmes, des bosses de jauge et autres combines contre la jauge, menées par une vaste armée de jeunes architectes. La jauge devait répondre à un chalenge ultime, sur le plan mathématique, et sur le plan global. Elle devait comporter beaucoup des gardes fous et un nombre incalculable d'ajustements. 

 Lors de la réunion annuelle de l'ITC qui se tient toujours en Novembre, que l'on appelle, par euphémisme, les réunions de "suggestions officieuses", on était invité à réfléchir aux bases de ce que pourrait être l'IOR Mk IV. Mais le pouvoir de décision était sans doute ailleurs. Malgré des plaidoyers passionnés de la part d'architectes comme Tony Castro, Geoff Stagg qui représentait B.Farr, du cabinet Dubois, moi-même et plusieurs propriétaires qui souhaitaient avoir l'IOR comme base pour dessiner des bateaux plus faciles à naviguer, l'ITC choisissait de promotionner l'IMS en tant que jauge pour le futur. Gary Mull,  président de l'ITC à cette époque, semble avoir été influencé par des relations professionnelles naissantes avec des architectes Américains comme Dave Pedrick, Bill Tripp et le "scientifique" Jerry Milgram, envers l'IMS. Ils imaginèrent ensemble une nouvelle génération de belles carènes, avec des dessins sages, une grande stabilité, de vrais cockpits et des intérieurs bien aménagés.

 La Jauge IOR Mk IV proposée lors de la réunion de Novembre 1988 suggérait des solutions similaires, mais utilisait les formules éprouvées et constantes de l'IOR, sans se référer aux prévisions de vitesse non validées, inhérentes à l'IMS. Dans les choses à réviser en IOR, la stabilité ne serait plus prise en compte, mettant fin au "très redouté" centre de gravité, mesure chargée d'inexactitudes et largement responsable d'avoir produit des bateaux instables dont le rappel de l'équipage dépendait en majeure partie. Le CGF a aussi été directement responsable de telles anomalies, tout comme les bosses à la largeur de flottaison.

 Le recouvrement à 150% des voiles d'avant aurait aussi été supprimé, il permettait d'avoir de la surface de toile non prise en compte. Cette évolution aurait permis le développement de gréements sans recouvrement.

 Les déformations et pinces autour des sections arrière devaient aussi être revues. L'une des principales suggestions était d'interdire tout point d'inflexion dans les formes arrière. Les beaux jours des "bustle" étaient terminés de toute façon, mais tous nos projets d'aménagements pouvaient être compensés pour ne pas trop défavoriser la flotte existante. En réalité, de petits changements dans la section des formes arrière et plus particulièrement entre les cotes intérieures et extérieurs des couples se seraient traduits par des arrières plus pleins, plus larges et plus beaux très rapidement, tout en autorisant les options. Ce choix n'existe pas dans les jauges actuelles.

Alors qu'on ne connaissait pas les débouchés de tels changements, les implications étaient très significatives dans une jauge comme celle de l'IOR. Le simple retrait de la pénalité de stabilité aurait rapidement permis aux architectes de dessiner des bateaux plus légers qui auraient trouvé leur stabilité avec des quilles plus profondes au lieu de carènes à stabilité de forme et plus de déplacement global. Des bateaux plus légers et plus puissants auraient conduit à des arrières plus volumineux.

 Mais l'ITC réfutait systématiquement ces arguments, les considérant comme inapplicables et tombaient d'accord pour dire que l'IMS était une meilleure façon d'arriver aux mêmes résultats. Dans la ligne de l'ITC, de nombreux architectes, dont Rob Humphreys qui était membre du bureau de l'ITC à cette époque, dessinèrent des bateaux qui illustraient bien cette jauge. Mais ce ne fut qu'un court moment.

 Et la politique de l'ITC prenait cette orientation fatale lors de la réunion de Novembre 1988. Les deux jauges allaient vivre en parallèle alors que les anomalies de VPP (Prédiction de vitesse de voilier) étaient repérées et qu'une nouvelle ère de bateaux de course au large débutait.

 Le travail pour le développement de l'IOR se poursuivait, mais sans les changements fondamentaux suggérés. Une version Mk IV de la jauge était programmée, mais peu de prescripteurs n'y virent de l'intérêt. Pour eux, l'IOR était en train de se mourir et l'IMS était le nouveau-né sur le berceau duquel on se penchait.

  L'ITC avait essayé auparavant de plus tenir compte du déplacement, de pousser à la conception de bateaux plus orientés croisière et on créait l'IOR Mk IIIa. Mais cela se retournait contre elle quand Bruce Farr, en particulier, exploitait la jauge avec de plus grands déplacements, tel le bien plus long Whitbread Maxi Steinlager en 1989. Cette seule modification voulue par l'ITC permit la naissance de l'imbattable Maxi, Matador. Au lieu de permettre le développement de plus grands déplacements, de bateaux plus aménagés intérieurement, la jauge Mk IIIa n'aura  permis que le développement de bateaux plus lourds, plus dépouillés du fait d'un gain de près de 3 pieds de longueur hors tout accordé par la jauge.

 Si l'on revient sur la réunion de Novembre 1988 de l'ITC, et je m'en souviens comme si c'était hier, Geoff Stagg a eu la réaction finale suivante face à l'ITC : " Ce que vous faites nous importe peu. Donnez nous n'importe quelle jauge et on ira pour dessiner des bateaux gagnants qui correspondent."

 Et c'est précisément ce qui est arrivé. En deux ans, Farr créait le bateau de course au large ultime en IMS, avec le 43 pieds Gaucho.  Mais ce n'était pas le début d'une nouvelle ère de bateaux élégants et confortables annoncés par les fondateurs de la jauge. Ses élancements étaient très courts, son franc bord élevé, ses lignes tendues, sa cabine aussi dépouillée qu'un IOR, mis à part une porte de cloison pour le compartiment avant. D'autres équipements obligatoires comme des rangements et table dans le carré n'étaient que symboliques et réalisées très chèrement en carbone. Mais, fait plus remarquable encore, pour que les prévisions de vitesse soient correctes il fallait mesurer la stabilité de base. On n'était pas exactement dans le domaine du croiseur de monsieur tout le monde, envisagé par les créateurs de la jauge…

 Alors que l'IMS continuait à être promue en tant que la bonne solution pour la course au large, l'IOR se battait mais se voyait attribuer toute la responsabilité du déclin des flottes de course au large.

 Je me souviens avoir parlé avec Olin (Stephens) au sujet de tout cela. Il était plein d'espoirs, sans doute un peu surpris par le développement qu'avait pris l'IOR. Mais il était pour une solution mathématique et aimait le raisonnement tenu pour l'IMS. Sans doute pensait-il que les raccourcis de l'IOR pourraient être couverts avec du plus "global" en IMS. C'était un raisonnement fondé sur les maths et non sur l'expérimentation.

 Si l'on prend en compte le développement de la course au large depuis la fin de l'IOR, en 1994, sachant que l'on connaissait les perspectives du 21ème siècle, est-ce que le fait de conserver l'IOR aurait été mieux pour la voile en général? Pour ce qui est d'assurer la continuité et d'éviter cette explosion de flottes nouvelles avec des catégories alternatives, oui, cela aurait été positif. Mais elle avait pris un mauvais coup à la fin des années 80 quand elle n'avait pu rassurer la base des propriétaires inquiets de ne pas être écoutés.


 Dans le milieu restreint de la course autour du monde sponsorisée par Whithbread, Bruce Farr, une fois encore, montrait la voie. L'IOR était encore plus vite couchée sur son lit de mort à cause de tentatives maladroites pour remettre au goût du jour l'Admiral's Cup et en y introduisant des monotypes et des bateaux IMS. En collaboration avec le comité de course de la Whitbread qui autorisait l'usage des spis asymétriques, et avec prévoyance, Farr abandonnait la voie des déplacements lourds prise avec Steinlager et réalisait un nouveau dessin qui faisait 7.500 kgs de moins. Ce plan beaucoup plus léger était beaucoup plus rapide autour du monde et montrait une voie possible pour des yachts IOR plus légers. Toutefois, et malheureusement, les trois ketch de Farr : La Poste, Merit Cup et New Zealand Endeavour n'étaient que la dernière avancée de l'IOR.

 Mais revenons en arrière et réfléchissons à ce que l'IOR aurait pu donner en termes de dessins de bateaux. Est-ce que si l'IOR avait publié une version très modifiée, elle aurait maintenu la course au large à son niveau de l'époque? Est-ce que cela aurait évité la disparition presque complète d'évènements comme les Ton Cup, l'admiral's Cup, la Kenwood, la Southern Cross, l'Onion Patch, le SORC ? Qui sait ? Peut-être que tout est dû à des problèmes économiques et à du manque de temps à y consacrer, mais je dont je suis sûr, c'est que l'héritage de l'IOR et son succès sont dus à sa stabilité en course au large. C'était une grave erreur de la laisser tomber au profit d'une jauge qui était beaucoup moins parfaite encore.

 Est-ce qu'un bateau dessiné pour une version nouvelle de l'IOR, comme suggéré à l'ITC en réunion, en 1988, aurait pu évoluer pour un bateau très performant aussi typique qu'un IRC, un TP52 ou un Fast 40? Oui. La  réponse est très claire. Grace aux avancées sur les structures légères, les dessins des appendices, grâce aux gréements en carbone, cela serait arrivé. Il reste que la plus grande décision affectant le dessin du bateau et sa conception dans sa globalité aurait dû être de cesser de vouloir mesurer la stabilité. C'est bien le cas aujourd'hui, les bateaux ne seraient pas devenus plus stables, mais seraient devenus notoirement plus légers et capables de supporter efficacement des gréements plus grands.

Si on avait réussi  à maintenir l'IOR jusque-là comme jauge de la course au large, on aurait eu des flottes plus stables à travers le monde et cela aurait permis à la course au large de survivre aux défis financiers majeurs et aux incertitudes qui l'ont tuée.

CE N'EST PAS FACILE DE TROUVER LA SEULE PHOTO QUI POURRAIT RESUMER LA PERIODE IOR DE 1970 A 1994. MAIS CELA VIENT D'UN FAIT REMARQUABLE DE 1985: LES FLOTTES ETAIENT ENORMES AVEC DES TYPES COMPLETEMENT VARIES DE DESSINS, VENANT D'UNE MULTITUDE D'ARCHITECTES.

 

 

         

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